dimanche 3 avril 2022

Profession de foi pré-électorale

Pourquoi je ne voterai jamais pour certains tristes sires & comment s'est forgée ma conviction du moment (à savoir que JLM ferait un – très – bon président)


L'opération César (2012) est un marqueur important. L'État déclenche une opération quasi militaire pour déloger des manifestant·e·s et des militant·e·s dont le seul tort est de résister (depuis des décennies) activement, physiquement, collectivement, internationalement, passionnément et intergénérationnellement à ce qui est considéré comme un Grand projet inutile imposé (GPII), c'est-à-dire l'implantation d'un aéroport moderne gigantesque sur un bocage préservé où cohabitent espèces protégées et pratiques humaines, agricoles et artisanales, sur une zone humide paisible et bucolique – un réservoir d'eau, de biodiversité, de savoir-faire et de calme, toutes choses précieuses s'il en est.

L'État montre alors que les préoccupations environnementales, écologiques, climatiques, sociétales des humbles personnes qui peuplent cette Zone à défendre (Zad) sont juste bonne à être balayées d'un revers de la main et noyées sous des nuages de gaz lacrymogènes. Toute visée alternative à la toute-puissance de l'économie mondialisée néolibérale* doit être circonscrite, éradiquée, combattue, médiatiquement, législativement et puis, s'il le faut, militairement.

Cette opération conduira à un échec cuisant pour François Hollande, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et la gendarmerie qui reculent devant une opposition populaire irréductible – El pueblo unido jamás será vencido (« Le peuple uni ne sera jamais vaincu »). Les zadistes, pourtant continuellement étrillés par la presse mainstream du Figaro à Ouest-France en passant par Le Point et Paris-Match, remportent une victoire à la fois concrète (le bocage et ses ressources sont préservés) et symbolique (les directives d'un État au service de Vinci et consorts peuvent être expédiées vers les oubliettes de l'histoire, prouvant que ce ne sont pas toujours le bitume, le béton, les actionnaires et Airbus qui l'emportent).

Photo Damien Meyer/AFP

En 2018, avec hargne, Emmanuel Macron et Édouard Philippe relancent une offensive armée contre la Zad de Notre-Dame-des-Landes afin d'évacuer quelques fermes et cabanons, alors même que le GPII est abandonné. Il s'agit de châtier, blesser, humilier, expulser, détruire les lieux de vie et le moral des insolents réfractaires. On déplorera une main arrachée à cause d'une grenade lancée par les gendarmes.

On peut être sûr que celles et ceux qui s'acharnent contre ces territoires de bocage ont depuis longtemps perdu tout lien poétique – voire mystique – avec le bucolique, avec cette nature domestiquée qui n'est pourtant pas seulement un lieu d'exploitation des ressources et de productivisme préjudiciable. Qu'ils ont rompu tout lien fraternel avec celles et ceux qui habitent, hantent et animent ces lieux. Et que leur principal souci est d'écraser toute velléité de créer un contre-projet politiquement viable – de tuer dans l'œuf cet embryon de société basée sur l'usage des communs, la gratuité, l'hospitalité inconditionnelle, l'entraide, la décroissance, l'absence de prison et de police.


Deux ans plus tôt, c'est la loi Travail, dite El Khomri (ministre du Travail du gouvernement du fétide Manuel Valls), qui remet le feu aux poudres. Les travailleurs conscientisés (qui auraient rêvé d'une toute autre réforme du monde du travail, avec moins de contraintes, moins de risques non pris en compte, moins d'heures, moins de précarité, de meilleurs salaires et plus de reconnaissance, de garanties, de formation, de sécurité, d'épanouissement possible, de congés et de jours fériés) sentent bien que ce projet de loi réduira leurs marges de manœuvre, fragilisera leur frêle statut (en facilitant les licenciements, indemnisés en fonction d'un nouveau barème favorable aux grosses entreprises, en diminuant la qualité de vie au travail avec le recul des comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), en ouvrant la possibilité pour les employeurs de négocier des accords moins favorables que ceux de la branche, avec le recours à des référendums pour contourner les syndicats majoritaires, avec la barémisation des indemnités prud’homales pour les salariés licenciés abusivement, en abaissant la qualité des indemnités dans le cas du travail de nuit, etc.), précarisant donc de fait une frange grandissante de la population laborieuse – ou cherchant à l'être, laborieuse, car désormais, ce n'est plus le chômage qu'il s'agit de combattre (celui-ci au contraire est une bénédiction, pour les cols blancs qui dressent les codes, car la menace qu'il fait peser sur le prolétariat incite chacun·e à accepter n'importe quelles – mauvaises – conditions de travail), mais les chômeurs, « ceux qui ne sont rien » et que l'on pointera du doigt comme des assistés, des parasites, des fainéants, des réfractaires qui profitent de leurs droits (au lieu d'honorer leurs devoirs, notamment celui d'être corps et âme au service de l'économie victorieuse numérique et délocalisable de la start-up nation), abusent des allocations (pour s'acheter des écrans plats à chaque rentrée scolaire, comme le prétend notre salopard de bon ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports Jean-Michel Blanquer)...

La répression des manifestations contre la loi Travail sera particulièrement poivrée. À Rennes, sur le quai Chateaubriand, le 28 avril 2016, Jean-François Martin, étudiant en géographie, est éborgné par un tir de LBD40. Voilà les premiers effets réels de cette loi qui pour beaucoup paraît technique, éloignée de leurs préoccupations, abstraite. Le 15 septembre, à Paris, une grenade lancée par un CRS éborgne un manifestant... À travers ces agressions dramatiques transparaît clairement une vision du monde assez sombre : au nom de réformes pensées par des technocrates douillets aux ongles manucurés, des hommes politiques sont prêts (via leurs hommes de main) à mutiler des citoyen·ne·s pour faire passer des lois impopulaires qui réduiront considérablement les droits des travailleurs.

Malgré les contestations massives, la loi El Khomri va être entérinée (via l'usage, très controversé, de l'article 49.3) puis appliquée en janvier 2018 suite aux ordonnances signées avec zèle et gourmandise par E. Macron devenu président (et qui, dans la foulée, réformera l'assurance chômage, parce qu'il ne faudrait pas que les petites gens prennent trop leurs aises avec les indemnités royales procurées par Pôle emploi). Plutôt éborgner que dialoguer avec le prolétariat** devient la nouvelle doctrine de ces hommes et de ces femmes acquis·e·s à l'idéologie néolibérale (cette idéologie qui place le Produit intérieur brut au-dessus du Bonheur national brut ou du Bonheur intérieur net).


Tenant de cette ligne dure, E. Macron a une œuvre à poursuivre – et on se doute bien que ce ne sont pas les intérêts de la classe laborieuse surexploitée qui lui importent, ni l'urgence climatique comme en atteste la façon dont il aura traité le sujet. Il a donc été élu après une campagne où les unes complaisantes des médias mainstream n'auront pas manqué, imposant son image de candidat sexy, jeune et dynamique, brillant et moderne, bel homme sportif et élégant, lettré et philosophe, beau parleur au destin hors du commun, marié à une femme plus âgée que lui – disruptif en diable.


C'est à ce moment-là qu'un collègue (je suis alors AVS en CDD à temps partiel dans un collège public de la périphérie rennaise), prof d'histoire-géo érudit, cinéphile antifasciste et plein d'humour, va m'inciter à jeter un œil sur les propositions et positions de la France Insoumise, m'encourageant à aller au-delà des a priori réducteurs et de mauvaise foi concernant Jean-Luc Mélenchon allègrement colportés par une presse acharnée à le combattre et à le présenter sans cesse sous un jour défavorable – tantôt adorateur du président vénézuélien Hugo Chávez, tantôt adepte des méthodes castristes, tantôt nostalgique du bolchevisme le plus sanglant et d'un collectivisme inopérant, puis poutinolâtre quand on assistera avec effroi à l'invasion de l'Ukraine.

Guidé par ce collègue et sous son impulsion, débattant régulièrement avec lui en salle des profs, je vais donc peu à peu écouter les discours de cet orateur hors-pair, consacrer beaucoup de temps à me documenter et à me tenir correctement informé, suivre les trajectoires des députés et porte-paroles qui sont de son bord (Manon Aubry, Mathilde Panot, François Ruffin, Alexis Corbière, Adrien Quatennens, Caroline Fiat, Manuel Bompard, David Guiraud, qui intervient régulièrement sur Le Média...) et leur reconnaître au fil de mes investigations une certaine valeur, du courage, de la dignité et de la constance – sans parler d'une certaine forme d'abnégation.

Et je vais constater que la France Insoumise accompagne les mouvements sociaux, se place aux côtés des Gilets jaunes plutôt que dans le camp de ceux qui minimisent – ou applaudissent – lorsqu'un Gilet jaune est éborgné ou mutilé.

Une des réformes prioritaires souhaitée par JLM est d'ailleurs que la police soit refondée de la cave au grenier pour que cessent les exactions et l'impunité – et, bien sûr, que l'Inspection générale de la police nationale soit remplacée par un organe de contrôle indépendant.

Ces réformes paraîtront anodines pour quiconque, naïvement, considère que la police est républicaine, qu'elle est là pour assurer la sécurité de tous et que les policiers font globalement correctement leur métier. Mais elles sont considérables pour toutes celles et tous ceux, de plus en plus nombreux·ses, qui ont eu à pâtir de ses dysfonctionnements systémiques, les ont constatés – lors d'une garde à vue, lors d'une nasse, lors de tirs policiers à bout portant sur des manifestants désarmés, lors d'un contrôle au faciès, à cause d'une banderole revendicative, à cause d'une auto-attestation raturée lors d'un « déplacement hors du domicile sans document justificatif conforme dans une circonscription territoriale où l'état d'urgence sanitaire est déclaré », à cause d'un délit de sale gueule (généralement noire ou basanée), lors d'une charge de CRS un jour de 1er mai ou lors du blocus d'un lycée en lutte contre Parcoursup, lors d'une rave-party inondée de lacrymogènes à Lieuron le 31 décembre 2020 et de grenades mutilantes à Redon dans la nuit du 18 au 19 juin 2021, ou d'une fête de la musique endeuillée à Nantes... Et c'est peut-être pour cela que certain·e·s ne voteront pas pour lui en avril 2022 : parce que trop de gens n'ont pas encore compris que les drames qui se sont abattus sur les familles de Cédric Chouviat (1977-2020), d'Adama Traoré (1992-2016), de Babacar Gueye (1988-2015), de Steve Maia Caniço (1997-2019), etc., et dans une moindre mesure sur Jérôme Rodrigues (éborgné à Paris en 2019 par la police), sur Antoine Boudinet (qui a eu la main arrachée le 8 décembre 2018 à Bordeaux), ne sont pas des cas isolés mais des victimes d'un ensemble de directives d'État, de lois scélérates durcissant et militarisant toujours plus les modes opératoires de la police, de passe-droits (toutes choses dont la somme forme système) et d'une ambiance délétère tragiquement cultivée par de tristes sires comme Didier Lallement, Christophe Castaner, Gérald Darmanin et autres affidés du syndicat policier d'extrême droite Alliance.

Mais c'est aussi parce que ces éléments à savoir ces violences policières (documentées par exemple par  l'anthropologue Didier Fassin ou répertoriées par le sociologue Pierre Douillard-Lefèvre dans Nous sommes en guerre - Terreur d'État et militarisation de la police, éd. Grevis, Caen, 2021), ces injustices devenues flagrantes, ne sont plus possibles à nier et sont de fait devenues insupportables que quelqu'un comme JLM peut être élu. Car il a choisi d'y mettre un frein. De refuser la politique de plus en plus droitière (pour ne pas dire fascistoïde) menée en haut-lieu, au mépris des manants et de nos droits sociaux. D'apporter un coup d'arrêt aux contre-réformes de cette Macronie qui se croit invincible et légitime pour saccager tous les services publics les uns après les autres (hôpital, écoles, universités, poste, rails, etc.).

Il y aurait bien sûr beaucoup d'autres raisons de pencher le 10 avril 2022 pour la candidature de JLM : éviter un fastidieux duel Macron-Le Pen ; ne pas reculer l'âge de la retraite ; accorder un accueil digne aux réfugiés d'où qu'ils viennent ; agir autant que possible pour le biotope et interdire certains produits nocifs comme les glyphosates ou les néocotinoïdes ; organiser des référendums pour les grands sujets de société ; partager avec un peu moins d'iniquité les richesses produites par les Français·e·s ; réduire le poids du nucléaire militaire et civil ; sortir de l'Otan pour ne plus dépendre des USA qui ne sont pas exemplaires en tout domaine ; augmenter le nombre de fonctionnaires ; revaloriser le Smic ; contrôler les prix des produits de première nécessité, etc. Alors pourquoi avoir peur de son élection ? Que peut-elle amener de si grave ? Et à l'inverse, quels espoirs pourra-t-elle faire naître au sein de la population ? Comment ne pas se réjouir de la préparation d'une VIe République en rupture avec cet ancien monde qui ne fonctionne plus, qui montre des dysharmonies de tous les côtés, qui ne crée plus que du clivage et de la contestation sur fond de corruption et de népotisme ? Comment ne pas rêver d'une VIe République en phase avec les (lourdes) préoccupations de l'époque (changement climatique, inégalités galopantes, pollution, extinction massive des espèces vivantes...) et ne pas avoir envie de se remonter les manches pour répondre à ces défis avec toute la lucidité, la persévérance, la générosité et l'inventivité dont les humains sont capables de faire preuve lorsqu'ils agissent au nom du bien commun universel ? Une assemblée constituante citoyenne, dont les mesures seront écoutées, respectées, suivies par l'exécutif (à la différence de la Convention citoyenne pour le climat dont les propositions ont hélas quasi toutes été rejetées et vidées de leur sève par Macron) sera un outil formidable pour élaborer le changement dont beaucoup rêvent.


Cyrille Cléran


* Les politiques néolibérales (que nous subissons ou contestons) considèrent que les forces de l'argent, de l'économie capitaliste (et du luxe qui va avec pour ceux qui en jouissent) doivent non seulement prévaloir mais, qu'en plus, l'État (la puissance publique) doit se mettre à leur service et orienter ses efforts au bénéfice de ces multinationales et de ces groupes cotés en bourse qui ne jurent que par la croissance (qu'ils escomptent infinie) et les bénéfices qui s'ensuivent (pour celles et ceux qui possèdent des actions).

** Le prolétariat est constitué de l'énorme majorité de ces gens qui vendent leur force de travail (intellectuel, technique ou manuel), leur temps, leur matière grise et leur enthousiasme pour gagner leur croûte. NB : on peut être millionnaire et avoir des idées favorables aux prolétaires, ou qui a minima prennent en compte leurs besoins ; F. Engels qui soutint K. Marx et publia Le Capital était ainsi l'héritier d'un riche industriel rhénan.

jeudi 15 juillet 2021

 

Un chauffeur sachant chauffer

 

Le chauffeur du bus se prend pour Napoléon. Son garde du corps est accusé de viol, de harcèlement sexuel et d’abus de confiance. Son avocat est mis en cause dans des histoires de conflits d’intérêts. Chargés de l’animation dans le bus, ses acolytes gazent, mutilent, humilient ou menottent les passagers qui contestent la direction prise – les vieux mentors dégueulasses desdits acolytes considèrent qu’on devrait plutôt leur tirer dessus à balles réelles (non pas que les balles des LBD-40 qui tracent à 300 km/h ne soient pas réelles, mais elles ne sont pas assez intimidantes selon ces vieux mentors parmi lesquels on retrouve tout de même un ancien ministre de l’Éducation nationale, preuve s’il en est que nos élèves sont formés à bonne école).

Le réservoir du bus est bientôt à sec et faire le plein sera sous peu mission impossible because raréfaction prochaine et imminente de la matière première. Sur la route, tantôt le bitume fond tant les températures montent, tantôt des grêlons gros comme des œufs de pigeon fracassent joyeusement les pare-brise. Un plan prévoit, pour plus de fluidité et de convivialité, d’élargir encore les routes et de rendre leurs accès systématiquement payants. Sur les bas-côtés, plus rien ne pousse grâce au glyphosate qui remplace aimablement les cantonniers. Aux alentours, les champs sans haie sont balayés par des vents que plus rien n’arrête, si ce n’est quelques alignements d’éoliennes. Les insectes et les oiseaux ont disparu de ce paysage.

Sous la terre de ces champs que seuls des kilotonnes d’intrants chimiques parviennent à maintenir fertiles, les lombrics, jadis prospères, ont également disparu. Les mondes invisibles désertés de leurs hôtes immémoriaux, ces vastes plaines se préparent à devenir des mers de sel.

À intervalles réguliers, la chaussée est sombrement marbrée. Il s’agit là de galettes formées par les corps aplatis d’un hérisson, d’un chat errant, d’une hermine, d’un renard, d’un lapin, d’un écureuil, d’un crapaud, d’un hibou.

Partout où le bus passe, les gens sont en colère, en burn-out – ou mutiques. Certains craignent de perdre leur emploi, ce qui leur ferait perdre leurs revenus, leur moral, leur santé puis leur maison faute de pouvoir rembourser leurs crédits. Alors ils ferment leur gueule.

Certains rêvent de grimper dans le bus et de régler son compte au chauffeur. Qu’il aille au diable, se disent d’autres qui savent que, s’ils restent assis sur le bord du fleuve, ils finiront par voir passer le corps boursouflé de leur ennemi.

La nuit, des feux d’artifices insolents éclairent le ciel. Ça agace prodigieusement le chauffeur du bus qui a horreur des manifestations incontrôlées de spontanéité populaire. Celui-ci accélère donc, pour faire passer son impatience. Il évite soigneusement de tenir compte des cris de ses passagers et passagères qui hurlent à l’arrière parce qu’on se dirige tout droit vers le précipice. Le chauffeur du bus possède une belle maison sur la Côte d’Opale et un grand et lumineux appartement en plein cœur de la capitale, une rente et des amis multimilliardaires entourés de laquais. À ce titre, il n’a pas peur des précipices. De surcroît il a pris l’habitude de se croire propriétaire intemporel du palais luxueux dont il n’est que le locataire éphémère.

« Portez votre masque. Prenez soin de vous. Remplissez vos caddies à ras bord quand vous faites vos courses. Acceptez les traitements qu’on a mis au point avec célérité pour votre bien afin de lutter contre ce virus dont on ne sait s’il a été conçu par des chercheurs chinois maladroits néanmoins subventionnés par le régime de Xi Jinping ou s’il est le fruit malheureux du rodéo hasardeux d’un pangolin hilare chevauchant une chauve-souris sous ecstasy. Mangez des fruits. Lavez-vous les mains. Mangez des produits laitiers. Ne ménageons pas notre peine pour un avenir qui gagne. Ensemble, protégeons nos anciens et les personnes vulnérables », rappelle en continu la litanie des messages diffusés sur les écrans de télé, qui égaient le bus, censés hypnotiser les enfants et rassurer les adultes.

De temps en temps, une page de publicité pour des produits LVMH, pour une crème de jour ou pour une cuisine équipée interrompt les mantras à but informatif du ministère de la Santé. Les yeux qui brillent, certains enfants applaudissent alors et les animateurs du bus se félicitent de la bonne ambiance qui règne.

Dans la descente, le chauffeur en profite pour gagner un peu de vitesse.

 

Rennes, 15 juillet 2021.


 

lundi 14 septembre 2020

Contre le port du masque en plein air

 


On peut encore, à Rennes, faire un jogging près d'une école, ou circuler à vélo près d’une église ou d’un commissariat, sans masque (et donc, on le présume sans mettre quiconque en danger, sinon ce serait interdit). Par contre, dès qu'on descend de son vélo, ou bien qu'on arrête son jogging, on devrait illico enfiler un masque car on deviendrait aussitôt potentiellement dangereux pour les autres ?

En plein air, aucun cas de contamination ou de foyer de contamination n'a été recensé (à l'inverse des lieux climatisés, des vestiaires d'hôpitaux ou d'usines, des transports en commun, des ascenseurs très fréquentés, des habitations en immeuble, etc., où la promiscuité est inévitable). Pourquoi dès lors décréter obligatoire le port du masque en plein air ? Alors même que le plein air sera plutôt universellement recommandé pour demeurer de bonne humeur et en bonne santé ?


Déclaration éclairante de notre bon ministre de la Santé, 12 mai 2020

On se rappelle pourtant l'absurdité de l'obligation, décrétée par la mairie de La Teste-de-Buch (Gironde), du port du masque au pied de la dune du Pilat (bien connue pour son air vicié) ou bien l'interdiction faite par madame la préfète de région Michèle Kirry, de fréquenter les plages et les chemins côtiers en Bretagne durant le confinement (il n'aurait pas fallu que les citoyens prennent du plaisir à l'arrêt forcé de l'économie en se mettant à préférer baguenauder plutôt qu'à agir et à réfléchir aux moyens d'augmenter le PIB de la start-up nation¹), en particulier dans les Côtes-d'Armor où les cas de personnes contaminées se comptaient pourtant sur les doigts d'une main et n'avaient pas été contaminées en se baladant sur les falaises d'Erquy mais plutôt en bossant comme des damnés dans des abattoirs à la funeste réputation.

Si on a 11 ans et un jour et plus, on doit porter un masque (alors même qu'on est en parfaite santé et qu'on ne présente absolument aucun symptôme) dans une cour d'école maternelle en plein air attenante à l'entrée de la classe où ce n’est pourtant pas la cohue et où chacun se tient respectueusement à distance des autres (où, religieusement, la professeure et les Atsem portent un masque mais où les enfants vu leur jeune âge sont exemptés), pour soi-disant ne pas mettre en danger qui que ce soit. Or, dans la classe, les enfants sont tous ensemble, se touchent, se frôlent, respirent le même air, mangent ensemble, vont dans les bras des Atsem, leur donnent la main, sans que ça ne pose de problème aux théoriciens de la distanciation physique². Les enfants avant d'entrer dans la classe étaient pourtant dans les bras de leurs parents (masqués), leur tenaient la main également. Pour la logique préfectorale bretonne, il suffirait donc d’obliger les adultes à porter un masque pour que le virus soit freiné dans son élan et que la transmission soit interrompue... On le voit, cette stratégie « à la française » faite depuis le début de l’année d’injonctions contradictoires, de privations de liberté, de brimades, de désinformations, de mensonges, de tri eugéniste des malades et des patients, est plutôt décousue, approximative et, si l’on regarde les statistiques par rapport à d’autres pays, inefficace.

*

Or, plutôt qu’imposer que les museaux soient recouverts d’un rectangle de protection, on pourrait opter pour une autre méthode et penser, études et chiffres à l’appui, que le virus, en septembre, est moins virulent qu'au printemps. Il a muté, il est devenu moins létal, il s'est adapté à son hôte. Rappelons ici le propos de l'historien Laurent Testot :

« Dans le contexte d'une exposition à des victimes sans défense, seuls les microbes les plus faibles survivent.

« Rougeole, oreillons, scarlatine... Nombre de maladies ont en commun de s'être développées depuis plusieurs millénaires dans l'Ancien Monde. Elles ont été des tueuses de masse. Puis la sélection naturelle a abouti à faire survivre les populations humaines génétiquement résistantes, ainsi que les microbes les moins virulents : ceux qui peuvent tranquillement se reproduire dans leur hôte sans le tuer. Les épidémies sont devenues des maladies d'enfance, frappant les petits humains en une sorte de processus prophylactique. Cet équilibre garantissait à l'enfant exposé de ne pas périr de cette maladie à l'âge adulte, tout en certifiant aux germes qu'ils bénéficieraient toujours d'un terrain favorable à leur reproduction.

« Bien malgré lui, Singe [surnom que l’auteur, Laurent Testot, qui ne manque ni d’humour ni d’érudition, donne à l’Homme] avait passé également un pacte avec l’invisible, garantissant une coexistence tendue mais durable avec les microbes, tant que ceux-ci ne franchissaient pas certaines frontières.

« Ces équilibres, dans lesquels les agents pathogènes prospèrent en affaiblissant leurs hôtes, mais sans les tuer, forment autant de pathocénoses. Une épidémie, c’est ce qui arrive quand une maladie sort de sa pathocénose, la zone d’infection où elle prospère en équilibre avec la population qu’elle parasite. » C’est contre-intuitif certes, mais « seuls les microbes les plus faibles survivent. »³

La zoonose du covid-19 n’échappe pas à ces lois naturelles. Le virus (jusqu’alors parasite sans histoire du pangolin et/ou des chauves-souris, on ne sait pas avec certitude, le débat reste ouvert) a d’abord fait des ravages parmi la population humaine avec qui il est entré en contact sans prévenir. Très vite cependant, il a muté. Le virus en septembre n’est pas exactement le même que celui qui sévissait en janvier ou en avril. Ce n’est pas le même virus qui a tué au printemps dernier l’arrière-grand-mère de Gédéon (sans que des adieux et des funérailles dignes aient pu être organisés à cause des conditions drastiques décrétées durant le confinement) que celui qui sévit encore en cette fin d’été.

Comme l’analyse de ses génomes le montre, le virus s’est adapté à son hôte, suivant les pas de la multitude de microbes qui par le passé se sont avec succès adaptés aux humains et qui cohabitent par milliards avec ce dernier depuis des millions d’années. Et c’est normal, tout virus qui tue son hôte se tire une balle dans le pied et handicape ses chances de survie. Un coronavirus qui rencontre l’espèce humaine ne peut que se réjouir de l’aubaine ; grâce à celle-là, sa survie est quasi assurée – en tout cas, les chances semblent plus grandes qu’en ne comptant que sur les pangolins ou les chauves-souris qui, compte tenu du braconnage et du rétrécissement de leurs habitats habituels, sont en voie d’extinction.

En revanche, le port du masque généralisé, censé ralentir la propagation de ce virus (alors que ce virus, comme des études le soulignent, est en passe de devenir pour ainsi dire inoffensif), au travail, en plein air (quand on marche, parce que, une fois assis en terrasse pour siroter un Picon-bière avec des copains, on peut le retirer et le mettre dans sa poche à côté de ses clés de voiture et de son mouchoir), dans les transports en commun, sur les ports des stations balnéaires balayées par les vents du large, le port du masque généralisé, donc, risque au contraire de générer des effets pervers. Avec un masque, on suffoque vite, on respire moins bien, on est moins audible, on a de la buée sur les lunettes, on se sent vite mal à l’aise (on n’a qu’une hâte en fait, l’ôter). On ne parlera même pas du fait qu’il est pour le moins étrange, quand on se promène seul·e, dans une rue déserte d’un quartier résidentiel, en pleine nuit, d’être passible d’une amende de 135 € puis de risquer 6 mois de prison et 3 750 € d’amende en cas de récidive si jamais on avait la malchance d’être surpris·e sans masque, en flagrant délit donc de non-respect des mesures édictées dans une circonscription territoriale où est déclaré l’état d’urgence sanitaire.

Et puis on le touche sans cesse, alors que les protocoles d’hygiène concernant l’usage desdits masques sont très stricts : ils ne doivent pas être touchés (sinon pour être jetés), ils doivent avoir une certaine trame et une certaine composition, ils ne doivent pas être portés trop longtemps, ils doivent être bien posés et ne pas laisser le nez dépasser, ni les flux d’air circuler sans filtre... Dans tous les cas contraires, au-delà d’être un peu effrayants et de rameuter un imaginaire dystopique, d’étouffer les voix et de masquer les rictus, les lèvres et les sourires, ils deviennent vite des bouillons de culture microbienne potentiellement dangereux : ils risquent d’affaiblir ceux qui les portent trop ou mal, à tout bout de champ, aboutissant dès lors à l’inverse de l’objectif visé affiché qui est, on le suppose, de prendre soin de la population en imposant ce port du masque.


Ce problème du port du masque, mis sans respecter un protocole méticuleux, avait d’ailleurs déjà été dénoncé en mars dernier par l’ex-porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye : « Parce que l’utilisation d’un masque, ce sont des gestes techniques précis, sinon on se gratte le nez sous le masque, on a du virus sur les mains ; sinon on en a une utilisation qui n’est pas bonne, et ça peut même être contre-productif. »

*

Pour toutes ces raisons, il apparaît urgent de se questionner, chacun à son échelon, sur ces mesures coercitives imposées par l’État, certaines mairies et préfectures. Sont-elles vraiment adaptées aux conditions sur le terrain ? Sont-elles nécessaires ? Contribuent-elles à dégrader les conditions de travail de nombreuses professions et les conditions de vivre ensemble qui nous sont habituellement si chères et bénéfiques, tant dans les lieux associatifs, familiaux ou aux abords et dans les écoles de nos enfants, sans même parler des secteurs culturel et sportif (où, tiens, dans quelques exceptions, le port du masque – « si l’activité ne le permet pas » – n’est pas obligatoire, moyennant quelque distanciation physique, ou parfois aucune…) ? Quelle logique suivent ces mesures catapultées sans consultation par des experts disruptifs dont l’impartialité n’est pas forcément la priorité ? D’autres solutions, locales, pensées par celles et ceux qui auront à les appliquer, ne sont-elles pas souhaitables ? La logique de la peur irrationnelle (qui conduit chacun·e à porter tant bien que mal un masque et à ne plus voir en autrui que la source anxiogène d’une contamination et d’une mort quasi certaines et, également, à fustiger ou se sentir en droit et en devoir de blâmer publiquement ou rappeler à l’ordre tout contrevenant à la règle édictée par le haut, tout en haut, par nos chers pouvoirs publics cacophoniques et retraduits par nos chères préfectures et de nouveau de façon descendante, retraduits péniblement dans chaque coin de nos cités), alors que l’épidémie est statistiquement terminée (il n’y a qu’une demi-douzaine de personnes en réanimation sur toute la Bretagne !), que les cas dépistés sont dans leur immense majorité absolument bénins, ne doit-elle pas céder la place à une logique de retrouvailles, de concorde, d’osmose et de mieux-être qui, plus ambitieuse, obligerait à se poser d’autres questions que celle du port du masque (qui occupe tous les esprits et une bonne partie de l’espace médiatique comme le port de la burka à une autre époque). N’est-il pas urgent de promouvoir d’autres logiques (visant à réduire les temps de travail ; à améliorer notre alimentation ; à réduire les polluants dus aux transports, à l’agroalimentaire, aux industries et à la production d’énergie ; à résorber les grandes précarités ; à bonifier ou préserver les cadres de vie et les biotopes…) – si tant est que c’est réellement le bien-être de toute la population qu’on désire ?


PS : On rappellera également que c’est grosso modo la même idéologie qui infuse à la tête de l’État et la même équipe gouvernementale qui impose aujourd’hui des mesures (critiquables, démagogiques, partielles, inéquitables) que celle qui eut à gérer l’hiver dernier cette crise sanitaire avec la prescience et la sagacité que l’on sait.


 

Cyrille Cléran

Rennes, 14 septembre 2020

  


1 En Suisse aussi, des éditorialistes du Centre patronal comme Pierre-Gabriel Bieri nous mettent vivement en garde. Quoi qu’il en coûte, l’économie (dont on connaît les ravages qu’elle cause) ne doit pas ralentir et on ne doit pas se laisser aller à penser qu’un tel ralentissement est souhaitable. « Il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire de se laisser séduire par ses apparences insidieuses : beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation... Cette perception romantique est trompeuse, car le ralentissement de la vie sociale et économique est en réalité très pénible pour d’innombrables habitants qui n’ont aucune envie de subir plus longtemps cette expérience forcée de décroissance. La plupart des individus ressentent le besoin, mais aussi l’envie et la satisfaction, de travailler, de créer, de produire, d’échanger et de consommer. On peut le faire plus ou moins intelligemment, et on a le droit de tirer quelques leçons de la crise actuelle. Mais il est néanmoins indispensable que l’activité économique reprenne rapidement et pleinement ses droits. » (15 avril 2020)

2 Par ailleurs, on remarquera que les personnels qui gardent leur masque pour travailler l’ôtent pour manger… à côté de leurs collègues démasqués.

3 In Cataclysmes - Une histoire environnementale de l'humanité, chap. « Hasards biologiques », coll. « Petit biblio Payot », Paris, 2017, prix de l'Académie française Léon de Rosen 2018, p. 220, édition de poche, 526 pages, 11 €.

 

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