La prostitution, dégradante, risquée, exposant les travailleurs
du sexe aux viols, aux coups, au froid, aux mauvaises fréquentations
ou aux maladies vénériennes, est une aiguille dans le talon de la
France vertueuse et puritaine. Alors supprimons la prostitution.
Le nucléaire est une industrie polluante qui, en
cas « d’incident » ou d’utilisation militaire, crée
des dommages collatéraux incalculables, constitue une menace
perpétuelle et représente une aberration écologique grandeur
nature (cf. Nagasaki, Hiroshima, Tchernobyl, les archipels
polynésiens sinistrés à jamais, Fukushima, les zones de stockage
de déchets à surveiller jusqu’à la nuit des temps, le plutonium
sur le marché noir, l’exploitation des mineurs occupés à
l’extraction de l’uranium, etc.). Alors supprimons le nucléaire.
La guerre est une belle saloperie, soutiennent
mordicus les pacifistes de tout poil. Les victimes sont le plus
souvent des civils impuissants. Les profiteurs s’enrichissent en
vendant des canons. Ceux qui la font, communément appelés
militaires, terroristes, activistes, rebelles ou mercenaires, sont
addicts de ces montées de dopamine qu’autorise le port d’armes
létales : ils ont besoin d’en avoir une toujours à portée
de main, au minimum un coutelas effilé à même de trancher une
carotide sans avoir besoin d’appuyer — car le militaire est
partisan du moindre effort. Après les combats, les éclopés et les
traumatisés sont légion, et leur réinsertion, quasi impossible,
est si coûteuse qu’on les condamne à devenir des laissés pour
compte. Les crimes de guerre pullulent (tortures, viols collectifs,
règlements de compte, utilisation d’armes prohibées et autres
exactions). Alors supprimons les armées.
Les drogues pénètrent tous les milieux, à la
grande satisfaction des mafias et des acteurs sans vergogne et
non-imposables des économies souterraines. Elles abrutissent les
masses, coûtent des fortunes en prévention, en répression et en
soins. Alors supprimons les produits toxiques et stupéfiants.
Les pauvres puent, mangent n’importe quoi,
s’habillent mal, habitent dans des lieux au mieux laids, au pire
insalubres. On les voit s’entasser dans ces châteaux-forts
modernes de quarante-cinq étages où ils s’agglutinent et copulent
vigoureusement jours et nuits en buvant des picrates amers. Ils ne
partent jamais en vacances, ou alors chôment à l’année
lamentablement. En conséquence de quoi, ils n’alimentent ni
l’industrie du luxe ni celle du tourisme. Ils parasitent toutes les
strates de la société et nuisent au PNB, au PIB et aux indices de
consommation ou de satisfaction. Ils handicapent les classes aisées
qui doivent cotiser pour subvenir aux besoins des nécessiteux. Ils
font baisser les chiffres en matière d’espérance de vie. Bref,
ils ne servent pas à grand-chose et en plus, ils viennent souvent de
l’étranger. Alors pour toutes ces raisons, et quelques autres,
supprimons les pauvres.
Les riches sont les rois du gaspillage. Ils
accaparent les biens de la collectivité. Ils forment une oligarchie,
s’arc-boutent sur leurs innombrables privilèges, entretiennent des
réseaux ploutocratiques qui sclérosent l’organigramme
républicain. Ils sont indécents, odieux, obscènes, irresponsables,
et leur conduite contredit en tout point les principes de la
solidarité, ceux du bon sens et ceux de l’équité. Ne vont-ils
pas, ces abrutis de riches, jusqu’à se tartiner le bouille de
crème de jour à 420 € les 50 ml (Orchidée impériale, concentré
de longévité de Guerlain) ? Alors supprimons les riches.
Idem pour les artistes. Qui ont la particularité de
cumuler les tares de tous les susnommés. Ajoutons qu’ils sont très
généralement soit érotomanes, soit névropathes, soit complètement
borderline, voire pédérastes. Évidemment, supprimons-les.
Commençons même par eux.
Détruire, raser, brûler, anéantir, écrabouiller,
éradiquer, pulvériser, atomiser, occire, ratiboiser, zigouiller,
sulfater, exterminer… Supprimer sans réfléchir et sans modération
ce qui nous embarrasse : le réflexe est commun, aussi banal
qu’une tartine trempée dans un bol de lait. Preuve supplémentaire
que ce qui est universel n’est pas toujours et dans tous les cas la
solution à tout problème. Heureusement, l’Homme, ô individu
glorieux, sait ne pas se contenter des solutions universelles.