Hier, vers 14 heures, je croise Daniel Delaveau,
ex-maire de Rennes (2008-2014), en vélo, au pied des immeubles du Colombier, rue de Plélo. Il
est accompagné de deux gus. À
trois cents mètres de là à peine, des nuages de lacrymo empuantissent la rue d’Isly
et le square de la rue Émile Souvestre est littéralement noyé sous les gaz. Quelques
minutes plus tôt, j’ai vu un FDO en train de braquer son LBD à hauteur de visages
des manifestants au croisement des rues Maréchal Joffre et Vasselot.
Je lui demande donc à brûle-pourpoint s’il trouve normal que
la maire actuelle n’interdise pas l’usage des gaz et des LBD dans sa ville. « Ce
n’est pas de son ressort, me répond-il. C’est à l’État d’assumer l’ordre public.
- Oui, mais la santé des citoyens dans le périmètre rennais lui
incombe en partie ! Vous trouvez normal l’usage de ces armes ?! Un œil
crevé ou une main arrachée parce qu’il y a eu une poubelle brûlée ou une vitrine
explosée, vous trouvez ça juste ?
- En face, bredouille l’ex-maire, visiblement mal à l’aise
avec mes questions, agacé par mon propos, ils doivent faire face à des jets de
pierres, des jets d’acide !
- Quand les acquis sociaux sont menacés, c’est normal d’être
en colère.
- Oui, mais on peut exprimer sa colère d’autres façons. Des manifestations,
j’en ai connues. On ne cassait pas tout comme ça, les commerces, les vitrines… J’ai
participé à des centaines de manifestations. Contre Pinochet au Chili, j’ai
manifesté en 73…
- Et vous ne trouvez pas que Macron justement marche sur les
pas de Pinochet ?
- Oh, je les connais vos discours de gauchiste !
- Mais vous ne pensez pas que les anciens, les sages, ceux
qui ont des responsabilités devraient donner de la voix pour que cessent ces pratiques
de répression ? Sinon, ça va finir par très mal se passer ! »
Notre conversation s’arrête à peu près là. Je récupère mon
vélo puis me dirige vers la rue de l’Alma, où un canon à eau est entré dans la
danse de cette belle journée de grève générale, pour asperger des centaines de manifestants
qui refluent vers la gare.
Cet échange m’aura néanmoins permis de voir à quel point les
responsables issus du Parti socialiste courbent l’échine devant des pratiques
autoritaires. De voir que pour eux, l’injustice d’un œil crevé, pour un ou une
manifestante, c’est le prix à payer quand on défile, justement, contre l’injustice
sociale. Et peu importe si ces balles de LBD, ces palets de lacrymo ou ces
grenades Gli-f4 atteignent en pleine face des promeneurs, des passants, des
lycéens, des militants politiques en train de papoter, des journalistes ou bien
une octogénaire fermant ses volets, qui perdra même la vie. De comprendre
également que pour ces gens-là, une poubelle ou une vitrine ont des charges
symboliques capitales : ça représente sans doute quelque chose d’assez
sacré, une sorte d’avatar d’un Panthéon dégueulant de tous ces dieux voués à la
croissance, à l’enrichissement sans fin et sans frein. Une poubelle qui brûle,
c’est le début de la fin. C’est comme un palais qui s’embrase, avec dedans,
crépitant, tous ces dieux de la propriété matérielle, de la marchandisation de
tout et n’importe quoi pourvu que ça rapporte, et tant pis pour les inégalités
sociales croissantes. Une vitrine étoilée, c’est un coup de couteau dans le dos
du capitalisme qui s’était penché pour refaire ses lacets.
La lutte va être rude.
« Ne pas se vendre - Ne pas se rendre - Ne pas vaciller »
« Le paradis est toujours à refaire »
« En banlieue, en manif, en prison, la police mutile, la police assassine. »
(Avenue Janvier, Rennes)
Rennes, le 6 décembre 2019.