jeudi 8 décembre 2011

Petite apologie du sur-mesure


La prostitution, dégradante, risquée, exposant les travailleurs du sexe aux viols, aux coups, au froid, aux mauvaises fréquentations ou aux maladies vénériennes, est une aiguille dans le talon de la France vertueuse et puritaine. Alors supprimons la prostitution.
Le nucléaire est une industrie polluante qui, en cas « d’incident » ou d’utilisation militaire, crée des dommages collatéraux incalculables, constitue une menace perpétuelle et représente une aberration écologique grandeur nature (cf. Nagasaki, Hiroshima, Tchernobyl, les archipels polynésiens sinistrés à jamais, Fukushima, les zones de stockage de déchets à surveiller jusqu’à la nuit des temps, le plutonium sur le marché noir, l’exploitation des mineurs occupés à l’extraction de l’uranium, etc.). Alors supprimons le nucléaire.
La guerre est une belle saloperie, soutiennent mordicus les pacifistes de tout poil. Les victimes sont le plus souvent des civils impuissants. Les profiteurs s’enrichissent en vendant des canons. Ceux qui la font, communément appelés militaires, terroristes, activistes, rebelles ou mercenaires, sont addicts de ces montées de dopamine qu’autorise le port d’armes létales : ils ont besoin d’en avoir une toujours à portée de main, au minimum un coutelas effilé à même de trancher une carotide sans avoir besoin d’appuyer — car le militaire est partisan du moindre effort. Après les combats, les éclopés et les traumatisés sont légion, et leur réinsertion, quasi impossible, est si coûteuse qu’on les condamne à devenir des laissés pour compte. Les crimes de guerre pullulent (tortures, viols collectifs, règlements de compte, utilisation d’armes prohibées et autres exactions). Alors supprimons les armées.
Les drogues pénètrent tous les milieux, à la grande satisfaction des mafias et des acteurs sans vergogne et non-imposables des économies souterraines. Elles abrutissent les masses, coûtent des fortunes en prévention, en répression et en soins. Alors supprimons les produits toxiques et stupéfiants.
Les pauvres puent, mangent n’importe quoi, s’habillent mal, habitent dans des lieux au mieux laids, au pire insalubres. On les voit s’entasser dans ces châteaux-forts modernes de quarante-cinq étages où ils s’agglutinent et copulent vigoureusement jours et nuits en buvant des picrates amers. Ils ne partent jamais en vacances, ou alors chôment à l’année lamentablement. En conséquence de quoi, ils n’alimentent ni l’industrie du luxe ni celle du tourisme. Ils parasitent toutes les strates de la société et nuisent au PNB, au PIB et aux indices de consommation ou de satisfaction. Ils handicapent les classes aisées qui doivent cotiser pour subvenir aux besoins des nécessiteux. Ils font baisser les chiffres en matière d’espérance de vie. Bref, ils ne servent pas à grand-chose et en plus, ils viennent souvent de l’étranger. Alors pour toutes ces raisons, et quelques autres, supprimons les pauvres.
Les riches sont les rois du gaspillage. Ils accaparent les biens de la collectivité. Ils forment une oligarchie, s’arc-boutent sur leurs innombrables privilèges, entretiennent des réseaux ploutocratiques qui sclérosent l’organigramme républicain. Ils sont indécents, odieux, obscènes, irresponsables, et leur conduite contredit en tout point les principes de la solidarité, ceux du bon sens et ceux de l’équité. Ne vont-ils pas, ces abrutis de riches, jusqu’à se tartiner le bouille de crème de jour à 420 € les 50 ml (Orchidée impériale, concentré de longévité de Guerlain) ? Alors supprimons les riches.
Idem pour les artistes. Qui ont la particularité de cumuler les tares de tous les susnommés. Ajoutons qu’ils sont très généralement soit érotomanes, soit névropathes, soit complètement borderline, voire pédérastes. Évidemment, supprimons-les. Commençons même par eux.

Détruire, raser, brûler, anéantir, écrabouiller, éradiquer, pulvériser, atomiser, occire, ratiboiser, zigouiller, sulfater, exterminer… Supprimer sans réfléchir et sans modération ce qui nous embarrasse : le réflexe est commun, aussi banal qu’une tartine trempée dans un bol de lait. Preuve supplémentaire que ce qui est universel n’est pas toujours et dans tous les cas la solution à tout problème. Heureusement, l’Homme, ô individu glorieux, sait ne pas se contenter des solutions universelles.

Cyrille Cléran

 

mercredi 23 novembre 2011

Atome et molécule : comment veux-tu que ça s'articule ?


L'homme est un animal social, inutile de refaire la démonstration ; il l'est au même titre que la fourmi, l'abeille, le dauphin, la sardine (qui n'est nulle part mieux qu'au sein de son banc). Que devient l'abeille loin de sa ruche ? Quel avenir pour la fourmi isolée ? J'arrête là l'illustration de cette loi car à la pensée d'un dauphin sans camarade de jeux, la tristesse monte, se transforme en larmes et mes lunettes s'embuent.
Le groupe est une force naturelle et évidente. Mais on n'ira pas loin, si celle-ci reste sans but. Et puisque présentement m'est donnée l'occasion de refaire le monde, je vais la saisir, en profiter pour, peut-être, dessiner les chemins canalisateurs qu'elle pourrait ou devrait emprunter, cette force naturelle, quasiment infinie, dont on a confusément conscience mais dont on ne sait souvent que faire ni comment la diriger.
À la force, F. Mitterrand avait associé la tranquillité et en avait fait son mot d'ordre, « La force tranquille ». Ça avait quelque chose de rassurant, de sécurisant, ce mot de Jacques Séguéla mettait en confiance. Ça avait quelque chose de sain, d'apaisant... surtout qu'au même moment, entre l'Irak et l'Iran, ça bardait. En Pologne aussi, ça chauffait : le général Jaruzelski était obligé de montrer les dents. Des menaces, donc, planaient. Il semblait juste de vouloir les écarter, de ne pas laisser de place au hasard, d'éviter le chaos (qui n'est pas toujours bon pour le PIB ni pour le moral de la ménagère de moins de cinquante ans). Non pas que des extrémistes religieux ou des syndicalistes moustachus risquaient de prendre le pouvoir en France, mais en tout cas, la prudence réclamait de postuler des valeurs. Ce qui fut fait.
Aujourd'hui, la force conduit des peuples entiers à se soulever ; des populations pugnaces et des mouvements de masse montent au créneau, avec des revendications précises et une détermination sans faille. Les uns souhaitent (et obtiennent) la fin d'une dictature militaire ou oligarchique. Les autres réclament de repenser les rapports sociaux et campent devant les bourses (qui s'affolent un peu, mais pas trop, car les bourses comme les ruches ne cessent pas leur activité bourdonnante à la première bande de cloportes venus s'agiter à ses alentours).
Ces mouvements sont historiques ; ils seront étudiés en tant que tels ; ce sont des cas d'école.
Ils rappellent que la loi d'un groupe, dont les composants sont motivés et savent ce qu'ils veulent, a vite fait de s'imposer face à la loi d'un autre groupe, dont les membres sont démotivés, égarés, sans perspective, sans arguments, sans crédibilité.
« Le combat est père de toutes choses, de toutes le roi », disait Protagoras, qu'on ne présente plus et dont on fait la connaissance en suivant des cours d'histoire de la philosophie. Aujourd'hui, le combat qui se prépare ne peut être gagné d'avance, même si on pressent qu'un camp a molli, qu'il a failli, qu'il n'a pas brillé du moins, si ce n'est par ses innombrables ignominies et par ses promesses non tenues. On peut juste dire que la partie est bien engagée. Comme aux échecs, il faudra avancer en protégeant ses pièces, sans négliger le moindre pion ; il faudra harceler l'adversaire, ne pas le sous-estimer, lui faire aucun cadeau. Ah j'oubliais ! L'adversaire, quel est-il ?
Et où est-il ? Dans quel antre sommeille-t-il ? À quelle heure peut-on le contacter ? Comment le reconnaître à coup sûr ? Est-il soluble dans le débat démocratique ? Devrons-nous l'éradiquer, ou simplement le neutraliser pour l'empêcher de nuire ? Est-il ici, ou là-bas ?

C. Cléran


jeudi 28 juillet 2011

Les Bretons et leur étiquette de "bouzeux" qui leur colle aux fesses...


Un jour, un con, à Paris — ou alors était-ce à Bruxelles, ou bien était-ce dans un avion faisant la navette entre ces capitales —, un con a dit : « Il faut produire du porc, beaucoup de porcs ! Plus qu’on ne peut en manger ! Le plus possible ! Que les Européens ne connaissent plus jamais la famine et qu’ils se fassent une côtelette et des rillettes à chaque repas ! Avec le surplus, on fera du stock, utilisable en cas de pénurie, ou on fera des bénéfices grâce à l’exportation vers ces pays pauvres qui ne sont pas assez évolués pour produire eux-mêmes leur nourriture. » Et il fut fait ainsi. Les Bretons en première ligne. Comme en 14. Car le Breton est docile, courageux, fidèle et, il faut bien le dire, un peu obtus. Alors, depuis qu’Anne de Bretagne par ses épousailles a rattaché le duché au vaste voisin hégémonique, la mère-patrie française, le Breton, un peu catholique et superstitieux sur les bords, se soumet sans trop réfléchir aux lois du pire et du meilleur. Il a d’abord abandonné sa celtitude et sa fière indépendance, pour les remplacer par un nouveau nationalisme de bon aloi, élargi. Puis il a laissé tomber sa langue, ses coutumes, ses mythes, ses costumes, ses chants, ses fêtes et ses croyances et maintenant, il roule en Citroën, en Honda, porte du Zara, écoute du Souchon, vote aux pestilentielles, pardon aux présidentielles, parle dans son Nokia, et mange et gaspille allègrement.
Bien sûr, tout ça a un coût. Coût humain, coût écologique, coût économique. On ne produit pas des millions de tonnes de porc impunément. Il a donc fallu sacrifier certaines choses — des bouts de nappe phréatique, des cours d’eau, des sources, des littoraux maritimes, un cadre de vie utopique, quelques illusions. De toute façon, les députés, à Paris comme à Bruxelles, ne passent pas leurs vacances dans la baie de Saint-Brieuc qui n’a jamais été, il faut bien le reconnaître, un spot touristique ni très glamour ni très en vogue — ils préfèrent le Nord de l’Italie, la Norvège, le Kenya, le Japon ou le Gers.
Les gros industriels du porc non plus, en fin de compte, ne passent pas leurs congés dans les Côtes d’Armor : ils préfèrent nettement les endroits où les plages sont accessibles sans risque d’enlisement dans des tas d’algues nauséabonds. Et à bien y réfléchir, les éleveurs de porcs, épuisés par les critiques dont ils font l’objet, consternés par les conséquences de leur stratégie d’optimisation des rendements, endettés jusqu’au cou à cause du coût des antibiotiques, des granulés, des frais divers, des prêts contractés lors de leur installation puis lors des successifs agrandissements de leur exploitation, n’ont pas vraiment le temps de songer aux vacances. Ils ont des cochons à élever puis à vendre. Et du lisier à écouler. De quoi remplir un nombre incalculable de piscines olympiques.
Bien sûr, tout ça présente aussi des avantages incroyables : on n’est plus obligé d’égorger le cochon élevé dans le fond du potager, si l’on veut un sandwich au jambon. C’est devenu un produit courant. La Bretagne est en pointe en matière d’agroalimentaire — ce qui fait une belle jambe à ces petits marcassins retrouvés embourbés, asphyxiés, à ce cheval mort ou à ce conducteur de camion chargé de ramasser les ulves pourries et qui n’en a pas supporté les émanations.
Naturellement, si tout ceci s’était passé en Corse, les habitants du bord de mer auraient réglé le problème à coup de fusil. Mais en Bretagne, on n’est pas belliqueux. Jusqu’au jour où ça pète.

Cyrille Cléran





jeudi 14 juillet 2011

Les communistes sauvent l’honneur


Intervenir militairement à l’étranger est tout de même un beau gâchis (cf. Irak, où le merdier perdure ; Indochine, où la boucherie fut complète ; Algérie, où la barbarie atteignit des sommets sur les pentes de la casbah d’Alger ; Afghanistan, où les pièges artisanaux pètent régulièrement en pleine rue ou devant les bases étrangères). Certes, on a des armes perfectionnées qui coûtent très cher alors il faut les rentabiliser. En plus, on a une armée professionnelle formée de redoutables soldats dont c’est le métier d’aller guerroyer avec un casque kaki et une mitraillette stéphanoise. Métier dont ils doivent assumer le risque principal, à savoir, celui de tomber pour la mère Patrie au champ d’honneur. Et puis il y a des méchants musulmans qui pullulent. Il y a des terroristes barbus aux portes de notre vieille Europe (certains l’ont même pénétrée, la vieille Europe qui, vu son grand âge, n’osait même plus espérer pareille intromission !). Il y a des ennemis de tout poil un peu partout animés d’une seule idée : nous nuire. Et puis, il y a aussi des fabricants de bombes qui ont besoin d’avoir un retour d’expérience afin de perfectionner un peu plus leurs outils de mort. Il y a des va-t-en-guerre, assis dans leur fauteuil en cuir derrière leur bureau en merisier, qui ont besoin de secouer les opinions, de faire monter l’adrénaline des populations qui sans cela s’ennuieraient ferme. Il y a toutes sortes de bons citoyens dont le courage sans limite va jusqu’à soutenir l’effort de guerre à travers, cependant, leur petite lucarne ou leur poste-radio. Bref, beaucoup sont d’accord pour s’engager contre la Libye de Kadhafi et ont de bonnes raisons pour ce faire. Envoyons des hommes et n’en parlons plus ! La plus visible de ces bonnes raisons étant qu’il faut bien remplir les livres d’Histoire : rien ne vaut un bon conflit, avec des chiffres effarants, des litanies de massacres, des revers épouvantables et des dates sanglantes. Rien ne les vaut, si on veut édifier les générations futures et leur inculquer durablement les vertus de la paix, de la concorde, de la non-violence, de la tendresse, la bienveillance et la fraternité.
Alors, au contraire, la priorité de la mère Patrie ne devrait-elle pas être de protéger ses enfants, y compris et d’abord ceux qui font la boulette — ou qui ont l’insigne honneur — de servir le drapeau et apprirent à tuer et à obéir aveuglément, au nom de la puissance et de la grandeur de la France ?
Mon poing dans ta gueule et tu la fermes : perdre son sang-froid, se mettre en colère, voir rouge, gonfler le poitrail et lancer ses avions à l’assaut d’un territoire ennemi, sont assurément des solutions, momentanées, sporadiques, à un problème. Mais — c’est con, il y a un « mais » — ce problème ressurgira tant qu’on ne développera pas un autre état d’esprit. D’abord : une intervention militaire devrait peut-être faire l’objet d’un référendum, suite à une information complète, objective et contradictoire. Et puis : celui qui déclare une guerre devrait être mis en première ligne, ce qui aurait sûrement des vertus dissuasives. Car dès lors que c’est sa propre vie qu’on risque, et non plus celle d’obscurs troufions, la donne change, on tergiverse, on pactise, on cherche une échappatoire, on se rend compte qu’il y a peut-être d’autres solutions que la force et le plomb fondu, on admet que le plus malin n’est pas forcément celui qui a la plus grosse (armée). Une intervention militaire devrait aussi n’intervenir qu’en dernier recours — sachant que ce recours à la violence, avec un minimum d’intelligence, peut être repoussé quasi indéfiniment. Des liens diplomatiques, commerciaux, universitaires, politiques, artistiques, scientifiques, spirituels, etc. (qui tous obligent à une certaine cordialité) peuvent être tissés, entretenus, co-inventés, repensés, comme autant de préliminaires balayant l’horizon de toute issue guerrière. Combien d’initiatives de cet acabit pourraient s’avérer judicieuses afin d’éviter des bains de sang et des guerres malheureuses ? Hein, combien ? Et c’est quand qu’on commence ?
C. Cléran

dimanche 19 juin 2011

La corrida rentre, Rama Yade sort.


La corrida, je ne suis ni pour, ni contre. Je suis briochin. La corrida n’est pas dans nos mœurs. Mais dans la mesure où elle est avant tout une fête, un spectacle, une communion, un sport et une passion (certes dangereuse pour le taureau, souvent, et pour le toréador, parfois), pourquoi s’en offusquer ? Tout rite n’a-t-il pas une dimension sacrée (au-delà de ses aspects ridicules ou surannés) ? Et puis surtout, pour combattre le taureau, il faut le comprendre, «l’apprendre», l’avoir apprivoisé, élevé, côtoyé — l’aimer en quelque sorte. Le meilleur protecteur de la cause taurine est en définitive l’aficionados, le matador, ou le gardien des troupeaux vaguement sauvages au sein desquels seront sélectionnées les bêtes de combat présumées les plus véloces. De même que les pêcheurs et chasseurs qui conservent des espaces naturels et bichonnent des cheptels de proies sont en première ligne pour en assurer la pérennité. On prélève, on sacrifie dix bêtes, mais on en aura au préalable fait grandir cent.

Nous offusquons-nous pour les millions de crapauds, hérissons, hiboux, etc., qui périssent écrasés ou percutés par les véhicules que nous conduisons ? Et là, leur sacrifice n’est nullement lié à un spectacle, un rite ou une cérémonie !

Nous indignons-nous contre l’éradication des renards et autres ragondins que certaines hautes autorités (hautes en stupidité) déclarent nuisibles et donc bons à abattre sans sommation ?

Nous raidissons-nous contre le sort des porcs élevés en batteries, des dindes et des poulets, morts après avoir été engraissés et sans avoir vu jamais la lumière du soleil ?

Nous ne parlerons pas des batraciens endémiques à des zones qu’on urbanise (en dépit du bon sens ?). Pas plus que nous n’évoquerons le sort des limaces soigneusement empoisonnées par des jardiniers amoureux de la nature… ni celui des hannetons, des doryphores ou des pucerons…

L’homme est cruel avec les espèces dont il profite ou qu’il côtoie, bien obligé. Sa cruauté est sans borne et s’exerce également à l’encontre de ses semblables, pourvu que l’occasion se présente.

Quelqu’un reprendra de l’escalope ?

C. Cléran


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