vendredi 8 juillet 2016

Symboles en cours d'ignifugation


Du bon usage des symboles en manifestation

Été MMXVI



S’attaquer à un symbole de la République (le drapeau bleu-blanc-rouge) peut occasionner une garde-à-vue. Lors de la manifestation du 28 juin (120 mars), un manifestant a jugé utile de s’en prendre au drapeau tricolore en y mettant le feu publiquement, et ce, au cœur (ou en marge pour reprendre l'expression consacrée) d’une manifestation autorisée par la préfecture, sur un parcours évitant l’hyper-centre, survolée par un hélico, encadrée par 400 CRS ou gendarmes et autres scolopendres à oreillettes.
Dans la foulée de cet acte ô combien abominable (oser s’en prendre ainsi au fanion tricolore, quelle horreur ! quelle faute de goût ! en plein Euro 2016 qui plus est… alors que la Nation a tant besoin de se serrer les coudes autour de ces vraies valeurs partagées, que sont ces coups francs dans la petite lucarne faisant suite à un tacle grossier ou ces penalties prenant le goal adverse à contre-pied), une douzaine d’agents de la BAC (la Brigade Anti-Criminelle ! comme si les grévistes et les militants contre la loi El Khomry étaient des criminels en puissance alors que ceux-là ne font qu’exprimer leur dégoût et leur colère face à l’exécutif et face à la veulerie de nos sénateurs et députés bien décidés à caresser le velu Medef dans le sens du poil et à provoquer un recul d’un siècle en arrière en termes de progrès sociaux !), une douzaine de cow-boys assermentés, donc, a foncé sans scrupule dans la foule épaisse pour tenter d’appréhender l’audacieux pyromane. Celui-ci a couru vers la queue du cortège de la manifestation. Se retrouvant nez-à-nez avec une ribambelle d’hommes casqués descendus en trombe de leurs fourgons (floqués aux couleurs de la République eux aussi), il est revenu dans la foule pour s’y fondre. Non contents de jouer les rugbymen et d’allègrement bousculer la foule pour tenter de plaquer l’opposant, les forces de la police nationale malgré leur déploiement viril et faisant là chou-blanc, c'est-à-dire restées bredouilles, ont poursuivi leur enquête. Le fait de brûler un carré de nylon ne pouvant demeurer impuni (car sinon, naturellement, c'est la porte ouverte à l'embrasement de toutes sortes de symboles plus ou moins ignifugés), elles ont un peu plus tard arrêté un individu qui, victime d’une brûlure à la main, s’était rendu à l’hôpital le plus proche.
Ce noble (et néanmoins imprudent) gus risque dans le pire des cas jusqu’à 7 500 € d’amende et 6 mois de prison pour avoir ainsi affirmé son désaccord avec l’État et ses symboles. En cette période de tolérance zéro (concept comme son nom l'indique basé sur la nullité, hérité de l’ère Sarkozy et repris allègrement par B. Cazeneuve et consorts) vis-à-vis de toute opinion contraire à la doxa gouvernementale (y compris celles qui sont éclairées), mieux vaut ne pas se faire attraper quand on prend le risque de s’y opposer. Or s’opposer de quelque manière que ce soit à la crasse indigence éthique et intellectuelle (y compris quand cette dernière concerne les puissants ou les législateurs) est un devoir civique.
En revanche, toutes les attaques (symboliques, budgétaires, humaines ou matérielles) faites aux valeurs républicaines par les vrais ennemis de la cohésion nationale restent largement impunies. Quand sitôt élu, notre ex-président s’augmente. Quand notre actuel ministre de la Défense se félicite d’un contrat de vente à l’Inde ou à l’Arabie Saoudite d’armes produites par le groupe Dassault-Aviation (dont l’ex-président-directeur général, milliardaire, homophobe et anti-pauvre avéré, est Commandeur de la Légion d’Honneur* et mis en examen régulièrement). Quand notre premier Ministre et notre président font l’amalgame entre "terroriste" et "militant". Quand les journaleux associent eux aussi "syndicalistes" et "preneurs d’otages". Quand le député-maire Balkany mis en examen (lui aussi) continue d’être auréolé par l’un des principaux partis au pouvoir (LR). Quand le service d’ordre d’un autre parti heureusement pas au pouvoir (FN) moleste des activistes Femen pacifistes lors d’un meeting place de l’Opéra de la vile Marine Le Pen. Quand aucune mesure d’envergure n’est prise pour garantir un accueil digne aux réfugiés de pays en guerre ou en dictature. Quand les propos d’un ex-ministre de l’Intérieur comme Hortefeux sont reconnus comme "outrageants et méprisants" (suite à l’affaire des "Auvergnats") mais que néanmoins perdure le racisme d’État et de ses sbires. Quand l’arrogant Macron vient donner des leçons d’élégance et de prêt-à-porter à des Français qui ont du mal à joindre les 2 bouts et, surtout, n’ont pas été habitués très jeunes au velours, à la soie et au cynisme des castes "supérieures". Quand des militants sont éborgnés, tués, étroitement surveillés sous prétexte d’état d’urgence ou emprisonnés pour avoir défendu des idées hostiles à des lois réactionnaires (ou s’être élevés contre des projets de bétonnage intensif promouvant les valeurs d’une société productiviste ou avoir réagi face des propos sexistes comme dans la récente affaire Bagelstein à Rennes)… Quels sont alors les symboles qui sont souillés, égratignés, profanés, déflorés sans tendresse ? Quels signaux sont envoyés ? Et comment sont châtiés les auteur·e·s de ces incivilités patentées ?
Pour l’instant, hormis des petites amendes, des relaxes après des procès-fleuves, des œufs sur le crâne ou des millions de gens manifestant leur rage, tout est calme. Mais tout porte à croire qu’ici ou là, on a cessé de se fier à l’État-providence et à ses promesses. Dans l’air du temps, il y a la détermination de toutes celles et ceux qui sont désireux·ses de faire valoir leur besoin d’un monde plus réjouissant. Un monde où l’on n'attaquerait pas les symboles car on n’aurait pas d’excellentes raisons de le faire.



* Ce qui a au moins le mérite de montrer à quelle hauteur voltige dorénavant la sphère de l'Honneur .


C. C.

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