Lundi 10 avril 2017, salle 101 du tribunal de grande instance de Rennes : Gaspard Glanz comparaît pour injure de presse publique envers un corps constitué de l’État.
Pour
rappel, G. Glanz est ce journaliste, diplômé de Rennes 2 (sociologie et
criminologie) et fondateur du site Taranis News, bien connu pour couvrir
les évènements sociaux (grèves de lycéens, rafles de migrants à Stalingrad,
manifestation de policiers cagoulés sur les Champs-Élysées, protestations
inter-syndicales, manifestations sauvages, démantèlement souhaité par l’État de
la "Jungle" de Calais, etc.) qui agitent le pays voire l’Europe.
12 agents de police se sont portés partie civile. Via leur avocat dépêché sur place, ils reprochent à G. Glanz d’avoir posté en juin 2016, sur son compte Facebook, une photographie et de l’avoir légendée par ce vieux slogan autrichien proto-nazi qui remonte à l’époque de l’Anschluss, ce projet* qui devait rattacher les peuples aryens sous une même bannière : "Ein Reich, ein Volk, ein Führer" ("Un État, un peuple, un guide").
Parmi ces 13 fonctionnaires de police, l’un (lequel ?) ne s’est pas
porté partie civile. Parce qu’il ne s’est pas senti insulté ?
Sur ce cliché, qui
est en fait une capture d’écran d’un reportage vidéo tourné à Rennes durant
l’une des nombreuses manifestations contre la "loi Travaille !",
on voit une brochettes d’agents en civil (pour certains munis de LBD40) bloquer
la rue Legraverend. Le jour où ce reportage a été réalisé par le jeune
journaliste, les forces de maintien de l’ordre sont en effet mobilisées une
fois encore pour empêcher la foule bigarrée des manifestants d’accéder à
l’hyper-centre de Rennes, soit la place des Lices, la place de la Mairie, la
place Sainte-Anne et la Maison du Peuple, la place Hoche et la très chic place
du Parlement, où le commerce doit pouvoir se poursuivre en toute quiétude
quelles que puissent être les revendications populaires. [Déjà que c’est la
crise, alors si en plus, à cause de la chienlit, les badauds ne peuvent plus
profiter des soldes chez Hermès ou chez Cyrillus, on n’est pas à
la veille de sortir du pétrin ; Ndr].
En tout état de
cause, Me Kempf et Me Fillola, les avocats de G. Glanz, ne peuvent que rappeler ce droit
fondamental à la liberté d’expression, y compris bien entendu celle des
journalistes, droit que protège la loi de 1881 et qui autorise ceux-ci à
polémiquer, à caricaturer, à établir des parallèles, à donner leur point de
vue, d’autant que la parole qu’ils portent, les témoignages qu’ils apportent et
les débats qu’ils soulèvent sont d’intérêt général.
En propos
liminaires, Me Raphael Kempf précise aussi que, sur la forme, la citation à comparaître
est également litigieuse puisque non seulement le délai de prescription de 3
mois (à partir de la mise en ligne d’un document, on dispose de 3 mois en droit
commun et plus particulièrement en ce qui concerne les infractions de presse,
pour trouver à y redire) était écoulé, mais, qu’en plus, cette délivrance de
citation à comparaître a été faite dans des circonstances qui la rendent
invalide. Dans le cadre de son travail de journaliste, G. Glanz était
alors en effet maintenu en garde à vue, ce qui entravait sa possibilité de
couvrir les évènements pour lesquels il s’était déplacé dans le Nord-Pas-de-Calais
et ce qui, surtout, contrevenait à la loi qui ne permet pas de retenir contre
leur gré des journalistes dans l’exercice de leurs missions. Ils ajoutent
également que lorsque l’on attaque sur la base de la loi du 29 juillet 1881 sur
la liberté de la presse, comme dans le cas présent, il s’agit de citer l’alinéa
idoine, d’être particulièrement précis dans la qualification du fait reproché,
faute de quoi l’accusation, trop floue, n’est pas recevable. La jurisprudence
est extrêmement claire sur cette question.
Ensuite, G.
Glanz s’explique longuement, face aux questions pointues de la juge qui
tient à se faire sa propre idée. Il retrace son parcours, resitue le
contexte ; rappelle ses racines strasbourgeoises (notamment la
proximité du Struthof, camp de concentration allemand, actif entre 1941 et
1944, visité une fois l’an par les scolaires alsaciens des alentours) ;
son intérêt pour les mouvements sociaux (dont il fit le sujet de son
mémoire à Rennes 2) et pour les leçons que les détours de l’histoire nous
enseignent ; son idéalisme ; son anticapitalisme ; son
engagement viscéral ; l’histoire de sa Sarl (Taranis, du nom du
seul dieu celte dont le nom n’était pas déjà déposé à l’Inpi) ; sa vie de
journaliste, indépendant mais précaire, gagnant entre 300 et 600 € mensuels, en
dépit des images régulièrement achetées par des grandes chaînes de
médias et les reportages sur YouTube vus pour certains des centaines de
milliers de fois ; les plaintes déposées à l’Igpn pour des blessures à
cause de Flash-Ball® ou de grenades de désencerclement (plaintes restées
sans suite) ; le matériel confisqué sans raison légale en marge des
manifestations (8 masques de protection et autant de paires de lunettes) ;
le travail d’équipe pour se protéger mutuellement sur les "zones de
conflits" et pouvoir passer les check-points policiers sans se faire
saisir les cartes-mémoires où les visages des manifestants ne seraient pas
encore floutés ; ses questionnements citoyens sur les dérives qu’il a
constatées, vers un État de plus en plus sécuritaire et policier, évoquant
immanquablement la montée des extrêmes dans l’Europe des années 20, 30 et 40,
et qui font se demander si la police se comporte toujours de façon
républicaine ; ses collègues de travail et amis qui se font molester par
ces mêmes forces de police durant les 4 mois que dure la virulente protestation
contre la loi El Khomri qui secoue la population et exacerbe de toute
part les tensions… Bref, G. Glanz s’interroge sur cette "glissade"
vers un État autoritaire, que l’on vit depuis un petit moment, avec ce
délitement des libertés publiques qu’alimentent le problème des réfugiés et
l’état d’urgence** ; et il souligne qu’il n’est pas responsable des messages
qui sont postés sur Facebook ou YouTube et qui quant à eux contiendraient
évidemment maints propos injurieux et autres appels à la haine anti-flics.
L’avocat des
courageux 12 agents de la Bac (qui n’ont pas jugé utile de se déplacer pour
exprimer leur ressenti et leur traumatisme suite à cette affaire de cliché
posté sur Facebook le 2 juin 2016), Me F. Berrien donc, s’inquiète quant
à lui de ce sentiment "anti-flics" qui plane et il rappelle la
douleur qu’ont pu ressentir ces agents et leurs familles en se voyant assimilés
à des "nazis", à des hitlériens, en étant "salis" de la
sorte. Poussant plus loin l’empathie et son esprit républicain sans faille, il
va même jusqu’à conforter Gaspard Glanz dans le choix que celui-ci a
fait de déposer plainte (auprès des services de police) suite aux nombreuses
menaces de mort reçues tout récemment – certaines émanant de pages de soutien à
la police ou de pages personnelles d’agents de police [qui, au-delà de la large
impunité dont ils jouissent, semblent oublier là leur devoir de réserve, sans
même parler des simples règles de la bienséance la plus élémentaire... mais ça
c’est une autre histoire et la justice ne se mettra pas forcément en branle
avec autant d’énergie pour ces écarts tant il est vrai qu’on a pu constater que
si nous étions censés être égaux en droit devant la loi, ceux qui sont armés et
en uniforme bleu marine profitent d’une indulgence sans commune mesure avec
celle qui n’est justement pas accordée à certaines catégories de la
population ; Ndr].
Face à la défense
assez chétive*** déployée par l’avocat de ces 12 agents de la Bac, Me
Vincent Fillola, l’un des deux avocats de Gaspard Glanz, renchérit,
sur le fond cette fois-ci. Ça ne fait aucun doute pour lui que la relaxe est
acquise et il multiplie les arguments brillamment. Tous étant assez imparables
pour que l’un seul d’entre eux suffise. D’abord, et c’est le b.a.-ba, rien ne
prouve que les 12 agents qui portent plainte soient bien ceux qui sont sur la
photo et se sont sentis outragés. Or, ils sont absents et absolument aucun
document de physionomie n’est fourni pour garantir ce premier point. Une cour
de justice est l’un des lieux où l’on peut mettre en question la déontologie et
la probité qui animent les fonctionnaires de police. Deuxièmement, il y a un
contexte bien précis quand cette photo surgit sur les réseaux sociaux ; Gaspard
Glanz et certains de ses collègues journalistes ont été harcelés ou blessés
par des policiers et les rapports entre manifestants et policiers et entre
policiers et journalistes sont particulièrement durs à ce moment-là de la
contestation. Troisièmement, l’intention d’injurier reste à démontrer et Gaspard
Glanz a au contraire démontré sa volonté d’informer, de susciter une
interrogation, d’établir un parallèle historique entre ces périodes troublées
que connaissent l’Autriche et l’Allemagne des années 30 et la France de
maintenant. Quatrièmement, le droit d’informer doit être particulièrement
protégé. Car il est fragile. Cinquièmement, en l’occurrence, Gaspard Glanz fait
plutôt figure de lanceur d’alerte. Sixièmement, la crise sociale est aujourd’hui
à son paroxysme et en tant que journaliste présent sur de nombreux terrains de
mouvements sociaux, G. Glanz en est un témoin privilégié. Septièmement,
son travail sur le terrain n’est pas récent, il remonte à 2011. Il détient une
expérience approfondie du phénomène sur lequel il entend mettre le doigt, même
si ça fait mal ou si ça écorche les convictions de celles et ceux qui pensent
différemment. Huitièmement, ce même jeudi 2 juin 2016, sur les bords de la
rocade rennaise que des manifestant·e·s motivé·e·s entendent bloquer, un de ses
collègues fait un coma de quelques secondes suite à des charges sur la foule
perpétrées par la police fonçant à bord de ses véhicules toutes vitres ouvertes
et gazant et matraquant indistinctement les vulnérables (mais très
déterminé·e·s) opposant·e·s à la loi El Khomri et à son monde
macronisant. Neuvièmement, Gaspard Glanz a le droit de chercher, par
tous les moyens qui lui semblent appropriés, y compris l’outrance et la
polémique, à éveiller les consciences sur ce qu’il considère être un délitement
de notre démocratie. Dixièmement, il use de son droit strict à faire passer un
message politique. Onzièmement, il ne fonctionne nullement sur le mode grossier
de l’insulte banale de type "CRS=SS" ou "Voilà les
miliciens" mais use d’un biais historique qui fait honneur à l’école
de la République où l’instruction est gratuite, laïque et obligatoire jusqu’à
16 ans et où chaque élève est censé être entré en contact avec les faits
historiques et politiques français et/ou européens. Douzièmement, avec cette
image d’agents de police en civil armés bloquant une rue, Gaspard Glanz considère
d’un point de vue politique qu’il détient une allégorie du pouvoir en place.
Treizièmement, cette image prend place dans un contexte où collègues et amis de
Gaspard Glanz sont amenés à déposer plainte devant l’Igpn, avec les fins
de non-recevoir que l’on sait. Quatorzièmement, il s’agit d’un propos spontané,
pour ponctuer un reportage vidéo également mis en ligne le jour même, sans
commentaire, sur le site de Taranis News, qui n’a pas été mûri des jours
durant. Quinzièmement, le métier de Gaspard Glanz, c’est l’image, ici
légendée par une fulgurance, dont on peut, au mieux, reconnaître la maladresse.
Seizièmement, "l’organisation du nouveau monde social de solidarité et de
justice ne se fera point sans un grand effort de pensée" écrivait
Jean Jaurès (in Le
Temps, 5 août 1905).
Dans le public,
que l’on devine largement acquis à la cause du jeune journaliste, un gus isolé
qui soupire ostensiblement pour marquer sa désapprobation murmure néanmoins que
Gaspard Glanz devrait aller en prison.
Le procureur de
la République, qui ne voudrait pas que la haine anti-flics se propage mais qui
ne semble pas avoir conscience que cette haine prend racine dans les agissements
mêmes de la police lorsque celle-ci se place très haut au-dessus des lois et de
la courtoisie normalement de rigueur, requiert 6000 € d'amende à l'encontre de Gaspard
Glanz. Le verdict sera rendu par le TGI de Rennes le 2 mai 2017.
C. Cléran
Post-scriptum : Le 2 mai 2017, le TGI de Rennes a annoncé la relaxe, pour cause de prescription de l'action publique. Le 5 mai, le procureur de la République a décidé de faire appel. L'acharnement continue, preuve s'il était besoin que nous vivons une époque où il ne fait décidément pas bon d'émettre des sérieuses réserves quant à la probité de l'institution policière ou de soulever la moindre critique à l'égard de ce corps constitué de l'État.
* "L'Autriche
allemande doit revenir à la grande patrie allemande et ceci, non pas en vertu
de quelconques raisons économiques. Non, non : même si cette fusion,
économiquement parlant, est indifférente ou même nuisible, elle doit avoir lieu
quand même. Un seul sang exige un seul Reich." Adolf Hitler, Mein Kampf,
1925.
** Il est à noter
que Gaspard Glanz est accusé par la préfecture de Calais de compliquer
la tâche des policiers (et c'est pourquoi il y est arbitrairement interdit
de séjour). Nous ne pouvons nous empêcher d'établir à notre tour un parallèle
avec ce témoignage d'Annette Muller qui a vécu la rafle du Vel' d'Hiv' en 1942
: "J'ai vu ma mère se jeter aux pieds des policiers, pleurer, supplier
qu'on laisse ses enfants, qu'on les épargne (...) Ils la repoussaient du pied,
en disant de ne pas leur compliquer la tâche."
*** Voire "un dossier monté avec les pieds"
pour reprendre un mot de Me Fillola.