vendredi 28 avril 2017

Un après-midi au tribunal pour soutenir la liberté de la presse indépendante

Lundi 10 avril 2017, salle 101 du tribunal de grande instance de Rennes : Gaspard Glanz comparaît pour injure de presse publique envers un corps constitué de l’État.

 

Pour rappel, G. Glanz est ce journaliste, diplômé de Rennes 2 (sociologie et criminologie) et fondateur du site Taranis News, bien connu pour couvrir les évènements sociaux (grèves de lycéens, rafles de migrants à Stalingrad, manifestation de policiers cagoulés sur les Champs-Élysées, protestations inter-syndicales, manifestations sauvages, démantèlement souhaité par l’État de la "Jungle" de Calais, etc.) qui agitent le pays voire l’Europe.


12 agents de police se sont portés partie civile. Via leur avocat dépêché sur place, ils reprochent à G. Glanz d’avoir posté en juin 2016, sur son compte Facebook, une photographie et de l’avoir légendée par ce vieux slogan autrichien proto-nazi qui remonte à l’époque de l’Anschluss, ce projet* qui devait rattacher les peuples aryens sous une même bannière : "Ein Reich, ein Volk, ein Führer" ("Un État, un peuple, un guide").



Parmi ces 13 fonctionnaires  de police, l’un (lequel ?) ne s’est pas porté partie civile. Parce qu’il ne s’est pas senti insulté ?

Sur ce cliché, qui est en fait une capture d’écran d’un reportage vidéo tourné à Rennes durant l’une des nombreuses manifestations contre la "loi Travaille !", on voit une brochettes d’agents en civil (pour certains munis de LBD40) bloquer la rue Legraverend. Le jour où ce reportage a été réalisé par le jeune journaliste, les forces de maintien de l’ordre sont en effet mobilisées une fois encore pour empêcher la foule bigarrée des manifestants d’accéder à l’hyper-centre de Rennes, soit la place des Lices, la place de la Mairie, la place Sainte-Anne et la Maison du Peuple, la place Hoche et la très chic place du Parlement, où le commerce doit pouvoir se poursuivre en toute quiétude quelles que puissent être les revendications populaires. [Déjà que c’est la crise, alors si en plus, à cause de la chienlit, les badauds ne peuvent plus profiter des soldes chez Hermès ou chez Cyrillus, on n’est pas à la veille de sortir du pétrin ; Ndr].

En tout état de cause, Me Kempf et Me Fillola, les avocats de G. Glanz, ne peuvent que rappeler ce droit fondamental à la liberté d’expression, y compris bien entendu celle des journalistes, droit que protège la loi de 1881 et qui autorise ceux-ci à polémiquer, à caricaturer, à établir des parallèles, à donner leur point de vue, d’autant que la parole qu’ils portent, les témoignages qu’ils apportent et les débats qu’ils soulèvent sont d’intérêt général.

En propos liminaires, Me Raphael Kempf précise aussi que, sur la forme, la citation à comparaître est également litigieuse puisque non seulement le délai de prescription de 3 mois (à partir de la mise en ligne d’un document, on dispose de 3 mois en droit commun et plus particulièrement en ce qui concerne les infractions de presse, pour trouver à y redire) était écoulé, mais, qu’en plus, cette délivrance de citation à comparaître a été faite dans des circonstances qui la rendent invalide. Dans le cadre de son travail de journaliste, G. Glanz était alors en effet maintenu en garde à vue, ce qui entravait sa possibilité de couvrir les évènements pour lesquels il s’était déplacé dans le Nord-Pas-de-Calais et ce qui, surtout, contrevenait à la loi qui ne permet pas de retenir contre leur gré des journalistes dans l’exercice de leurs missions. Ils ajoutent également que lorsque l’on attaque sur la base de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, comme dans le cas présent, il s’agit de citer l’alinéa idoine, d’être particulièrement précis dans la qualification du fait reproché, faute de quoi l’accusation, trop floue, n’est pas recevable. La jurisprudence est extrêmement claire sur cette question.

Ensuite, G. Glanz s’explique longuement, face aux questions pointues de la juge qui tient à se faire sa propre idée. Il retrace son parcours, resitue le contexte ; rappelle ses racines strasbourgeoises (notamment la proximité du Struthof, camp de concentration allemand, actif entre 1941 et 1944, visité une fois l’an par les scolaires alsaciens des alentours) ; son intérêt pour les mouvements sociaux (dont il fit le sujet de son mémoire à Rennes 2) et pour les leçons que les détours de l’histoire nous enseignent ; son idéalisme ; son anticapitalisme ; son engagement viscéral ; l’histoire de sa Sarl (Taranis, du nom du seul dieu celte dont le nom n’était pas déjà déposé à l’Inpi) ; sa vie de journaliste, indépendant mais précaire, gagnant entre 300 et 600 € mensuels, en dépit des images régulièrement achetées par des grandes chaînes de médias et les reportages sur YouTube vus pour certains des centaines de milliers de fois ; les plaintes déposées à l’Igpn pour des blessures à cause de Flash-Ball® ou de grenades de désencerclement (plaintes restées sans suite) ; le matériel confisqué sans raison légale en marge des manifestations (8 masques de protection et autant de paires de lunettes) ; le travail d’équipe pour se protéger mutuellement sur les "zones de conflits" et pouvoir passer les check-points policiers sans se faire saisir les cartes-mémoires où les visages des manifestants ne seraient pas encore floutés ; ses questionnements citoyens sur les dérives qu’il a constatées, vers un État de plus en plus sécuritaire et policier, évoquant immanquablement la montée des extrêmes dans l’Europe des années 20, 30 et 40, et qui font se demander si la police se comporte toujours de façon républicaine ; ses collègues de travail et amis qui se font molester par ces mêmes forces de police durant les 4 mois que dure la virulente protestation contre la loi El Khomri qui secoue la population et exacerbe de toute part les tensions… Bref, G. Glanz s’interroge sur cette "glissade" vers un État autoritaire, que l’on vit depuis un petit moment, avec ce délitement des libertés publiques qu’alimentent le problème des réfugiés et l’état d’urgence** ; et il souligne qu’il n’est pas responsable des messages qui sont postés sur Facebook ou YouTube et qui quant à eux contiendraient évidemment maints propos injurieux et autres appels à la haine anti-flics.

L’avocat des courageux 12 agents de la Bac (qui n’ont pas jugé utile de se déplacer pour exprimer leur ressenti et leur traumatisme suite à cette affaire de cliché posté sur Facebook le 2 juin 2016), Me F. Berrien donc, s’inquiète quant à lui de ce sentiment "anti-flics" qui plane et il rappelle la douleur qu’ont pu ressentir ces agents et leurs familles en se voyant assimilés à des "nazis", à des hitlériens, en étant "salis" de la sorte. Poussant plus loin l’empathie et son esprit républicain sans faille, il va même jusqu’à conforter Gaspard Glanz dans le choix que celui-ci a fait de déposer plainte (auprès des services de police) suite aux nombreuses menaces de mort reçues tout récemment – certaines émanant de pages de soutien à la police ou de pages personnelles d’agents de police [qui, au-delà de la large impunité dont ils jouissent, semblent oublier là leur devoir de réserve, sans même parler des simples règles de la bienséance la plus élémentaire... mais ça c’est une autre histoire et la justice ne se mettra pas forcément en branle avec autant d’énergie pour ces écarts tant il est vrai qu’on a pu constater que si nous étions censés être égaux en droit devant la loi, ceux qui sont armés et en uniforme bleu marine profitent d’une indulgence sans commune mesure avec celle qui n’est justement pas accordée à certaines catégories de la population ; Ndr].

Face à la défense assez chétive*** déployée par l’avocat de ces 12 agents de la Bac, Me Vincent Fillola, l’un des deux avocats de Gaspard Glanz, renchérit, sur le fond cette fois-ci. Ça ne fait aucun doute pour lui que la relaxe est acquise et il multiplie les arguments brillamment. Tous étant assez imparables pour que l’un seul d’entre eux suffise. D’abord, et c’est le b.a.-ba, rien ne prouve que les 12 agents qui portent plainte soient bien ceux qui sont sur la photo et se sont sentis outragés. Or, ils sont absents et absolument aucun document de physionomie n’est fourni pour garantir ce premier point. Une cour de justice est l’un des lieux où l’on peut mettre en question la déontologie et la probité qui animent les fonctionnaires de police. Deuxièmement, il y a un contexte bien précis quand cette photo surgit sur les réseaux sociaux ; Gaspard Glanz et certains de ses collègues journalistes ont été harcelés ou blessés par des policiers et les rapports entre manifestants et policiers et entre policiers et journalistes sont particulièrement durs à ce moment-là de la contestation. Troisièmement, l’intention d’injurier reste à démontrer et Gaspard Glanz a au contraire démontré sa volonté d’informer, de susciter une interrogation, d’établir un parallèle historique entre ces périodes troublées que connaissent l’Autriche et l’Allemagne des années 30 et la France de maintenant. Quatrièmement, le droit d’informer doit être particulièrement protégé. Car il est fragile. Cinquièmement, en l’occurrence, Gaspard Glanz fait plutôt figure de lanceur d’alerte. Sixièmement, la crise sociale est aujourd’hui à son paroxysme et en tant que journaliste présent sur de nombreux terrains de mouvements sociaux, G. Glanz en est un témoin privilégié. Septièmement, son travail sur le terrain n’est pas récent, il remonte à 2011. Il détient une expérience approfondie du phénomène sur lequel il entend mettre le doigt, même si ça fait mal ou si ça écorche les convictions de celles et ceux qui pensent différemment. Huitièmement, ce même jeudi 2 juin 2016, sur les bords de la rocade rennaise que des manifestant·e·s motivé·e·s entendent bloquer, un de ses collègues fait un coma de quelques secondes suite à des charges sur la foule perpétrées par la police fonçant à bord de ses véhicules toutes vitres ouvertes et gazant et matraquant indistinctement les vulnérables (mais très déterminé·e·s) opposant·e·s à la loi El Khomri et à son monde macronisant. Neuvièmement, Gaspard Glanz a le droit de chercher, par tous les moyens qui lui semblent appropriés, y compris l’outrance et la polémique, à éveiller les consciences sur ce qu’il considère être un délitement de notre démocratie. Dixièmement, il use de son droit strict à faire passer un message politique. Onzièmement, il ne fonctionne nullement sur le mode grossier de l’insulte banale de type "CRS=SS" ou "Voilà les miliciens" mais use d’un biais historique qui fait honneur à l’école de la République où l’instruction est gratuite, laïque et obligatoire jusqu’à 16 ans et où chaque élève est censé être entré en contact avec les faits historiques et politiques français et/ou européens. Douzièmement, avec cette image d’agents de police en civil armés bloquant une rue, Gaspard Glanz considère d’un point de vue politique qu’il détient une allégorie du pouvoir en place. Treizièmement, cette image prend place dans un contexte où collègues et amis de Gaspard Glanz sont amenés à déposer plainte devant l’Igpn, avec les fins de non-recevoir que l’on sait. Quatorzièmement, il s’agit d’un propos spontané, pour ponctuer un reportage vidéo également mis en ligne le jour même, sans commentaire, sur le site de Taranis News, qui n’a pas été mûri des jours durant. Quinzièmement, le métier de Gaspard Glanz, c’est l’image, ici légendée par une fulgurance, dont on peut, au mieux, reconnaître la maladresse. Seizièmement, "l’organisation du nouveau monde social de solidarité et de justice ne se fera point sans un grand effort de pensée" écrivait Jean Jaurès (in Le Temps, 5 août 1905).

Dans le public, que l’on devine largement acquis à la cause du jeune journaliste, un gus isolé qui soupire ostensiblement pour marquer sa désapprobation murmure néanmoins que Gaspard Glanz devrait aller en prison.

Le procureur de la République, qui ne voudrait pas que la haine anti-flics se propage mais qui ne semble pas avoir conscience que cette haine prend racine dans les agissements mêmes de la police lorsque celle-ci se place très haut au-dessus des lois et de la courtoisie normalement de rigueur, requiert 6000 € d'amende à l'encontre de Gaspard Glanz. Le verdict sera rendu par le TGI de Rennes le 2 mai 2017.
C. Cléran

Post-scriptum : Le 2 mai 2017, le TGI de Rennes a annoncé la relaxe, pour cause de prescription de l'action publique. Le 5 mai, le procureur de la République a décidé de faire appel. L'acharnement continue, preuve s'il était besoin que nous vivons une époque où il ne fait décidément pas bon d'émettre des sérieuses réserves quant à la probité de l'institution policière ou de soulever la moindre critique à l'égard de ce corps constitué de l'État.
 

* "L'Autriche allemande doit revenir à la grande patrie allemande et ceci, non pas en vertu de quelconques raisons économiques. Non, non : même si cette fusion, économiquement parlant, est indifférente ou même nuisible, elle doit avoir lieu quand même. Un seul sang exige un seul Reich." Adolf Hitler, Mein Kampf, 1925.

** Il est à noter que Gaspard Glanz est accusé par la préfecture de Calais de compliquer la tâche des policiers (et c'est pourquoi il y est arbitrairement interdit de séjour). Nous ne pouvons nous empêcher d'établir à notre tour un parallèle avec ce témoignage d'Annette Muller qui a vécu la rafle du Vel' d'Hiv' en 1942 : "J'ai vu ma mère se jeter aux pieds des policiers, pleurer, supplier qu'on laisse ses enfants, qu'on les épargne (...) Ils la repoussaient du pied, en disant de ne pas leur compliquer la tâche."

 *** Voire "un dossier monté avec les pieds" pour reprendre un mot de Me Fillola.

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