lundi 14 septembre 2020

Contre le port du masque en plein air

 


On peut encore, à Rennes, faire un jogging près d'une école, ou circuler à vélo près d’une église ou d’un commissariat, sans masque (et donc, on le présume sans mettre quiconque en danger, sinon ce serait interdit). Par contre, dès qu'on descend de son vélo, ou bien qu'on arrête son jogging, on devrait illico enfiler un masque car on deviendrait aussitôt potentiellement dangereux pour les autres ?

En plein air, aucun cas de contamination ou de foyer de contamination n'a été recensé (à l'inverse des lieux climatisés, des vestiaires d'hôpitaux ou d'usines, des transports en commun, des ascenseurs très fréquentés, des habitations en immeuble, etc., où la promiscuité est inévitable). Pourquoi dès lors décréter obligatoire le port du masque en plein air ? Alors même que le plein air sera plutôt universellement recommandé pour demeurer de bonne humeur et en bonne santé ?


Déclaration éclairante de notre bon ministre de la Santé, 12 mai 2020

On se rappelle pourtant l'absurdité de l'obligation, décrétée par la mairie de La Teste-de-Buch (Gironde), du port du masque au pied de la dune du Pilat (bien connue pour son air vicié) ou bien l'interdiction faite par madame la préfète de région Michèle Kirry, de fréquenter les plages et les chemins côtiers en Bretagne durant le confinement (il n'aurait pas fallu que les citoyens prennent du plaisir à l'arrêt forcé de l'économie en se mettant à préférer baguenauder plutôt qu'à agir et à réfléchir aux moyens d'augmenter le PIB de la start-up nation¹), en particulier dans les Côtes-d'Armor où les cas de personnes contaminées se comptaient pourtant sur les doigts d'une main et n'avaient pas été contaminées en se baladant sur les falaises d'Erquy mais plutôt en bossant comme des damnés dans des abattoirs à la funeste réputation.

Si on a 11 ans et un jour et plus, on doit porter un masque (alors même qu'on est en parfaite santé et qu'on ne présente absolument aucun symptôme) dans une cour d'école maternelle en plein air attenante à l'entrée de la classe où ce n’est pourtant pas la cohue et où chacun se tient respectueusement à distance des autres (où, religieusement, la professeure et les Atsem portent un masque mais où les enfants vu leur jeune âge sont exemptés), pour soi-disant ne pas mettre en danger qui que ce soit. Or, dans la classe, les enfants sont tous ensemble, se touchent, se frôlent, respirent le même air, mangent ensemble, vont dans les bras des Atsem, leur donnent la main, sans que ça ne pose de problème aux théoriciens de la distanciation physique². Les enfants avant d'entrer dans la classe étaient pourtant dans les bras de leurs parents (masqués), leur tenaient la main également. Pour la logique préfectorale bretonne, il suffirait donc d’obliger les adultes à porter un masque pour que le virus soit freiné dans son élan et que la transmission soit interrompue... On le voit, cette stratégie « à la française » faite depuis le début de l’année d’injonctions contradictoires, de privations de liberté, de brimades, de désinformations, de mensonges, de tri eugéniste des malades et des patients, est plutôt décousue, approximative et, si l’on regarde les statistiques par rapport à d’autres pays, inefficace.

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Or, plutôt qu’imposer que les museaux soient recouverts d’un rectangle de protection, on pourrait opter pour une autre méthode et penser, études et chiffres à l’appui, que le virus, en septembre, est moins virulent qu'au printemps. Il a muté, il est devenu moins létal, il s'est adapté à son hôte. Rappelons ici le propos de l'historien Laurent Testot :

« Dans le contexte d'une exposition à des victimes sans défense, seuls les microbes les plus faibles survivent.

« Rougeole, oreillons, scarlatine... Nombre de maladies ont en commun de s'être développées depuis plusieurs millénaires dans l'Ancien Monde. Elles ont été des tueuses de masse. Puis la sélection naturelle a abouti à faire survivre les populations humaines génétiquement résistantes, ainsi que les microbes les moins virulents : ceux qui peuvent tranquillement se reproduire dans leur hôte sans le tuer. Les épidémies sont devenues des maladies d'enfance, frappant les petits humains en une sorte de processus prophylactique. Cet équilibre garantissait à l'enfant exposé de ne pas périr de cette maladie à l'âge adulte, tout en certifiant aux germes qu'ils bénéficieraient toujours d'un terrain favorable à leur reproduction.

« Bien malgré lui, Singe [surnom que l’auteur, Laurent Testot, qui ne manque ni d’humour ni d’érudition, donne à l’Homme] avait passé également un pacte avec l’invisible, garantissant une coexistence tendue mais durable avec les microbes, tant que ceux-ci ne franchissaient pas certaines frontières.

« Ces équilibres, dans lesquels les agents pathogènes prospèrent en affaiblissant leurs hôtes, mais sans les tuer, forment autant de pathocénoses. Une épidémie, c’est ce qui arrive quand une maladie sort de sa pathocénose, la zone d’infection où elle prospère en équilibre avec la population qu’elle parasite. » C’est contre-intuitif certes, mais « seuls les microbes les plus faibles survivent. »³

La zoonose du covid-19 n’échappe pas à ces lois naturelles. Le virus (jusqu’alors parasite sans histoire du pangolin et/ou des chauves-souris, on ne sait pas avec certitude, le débat reste ouvert) a d’abord fait des ravages parmi la population humaine avec qui il est entré en contact sans prévenir. Très vite cependant, il a muté. Le virus en septembre n’est pas exactement le même que celui qui sévissait en janvier ou en avril. Ce n’est pas le même virus qui a tué au printemps dernier l’arrière-grand-mère de Gédéon (sans que des adieux et des funérailles dignes aient pu être organisés à cause des conditions drastiques décrétées durant le confinement) que celui qui sévit encore en cette fin d’été.

Comme l’analyse de ses génomes le montre, le virus s’est adapté à son hôte, suivant les pas de la multitude de microbes qui par le passé se sont avec succès adaptés aux humains et qui cohabitent par milliards avec ce dernier depuis des millions d’années. Et c’est normal, tout virus qui tue son hôte se tire une balle dans le pied et handicape ses chances de survie. Un coronavirus qui rencontre l’espèce humaine ne peut que se réjouir de l’aubaine ; grâce à celle-là, sa survie est quasi assurée – en tout cas, les chances semblent plus grandes qu’en ne comptant que sur les pangolins ou les chauves-souris qui, compte tenu du braconnage et du rétrécissement de leurs habitats habituels, sont en voie d’extinction.

En revanche, le port du masque généralisé, censé ralentir la propagation de ce virus (alors que ce virus, comme des études le soulignent, est en passe de devenir pour ainsi dire inoffensif), au travail, en plein air (quand on marche, parce que, une fois assis en terrasse pour siroter un Picon-bière avec des copains, on peut le retirer et le mettre dans sa poche à côté de ses clés de voiture et de son mouchoir), dans les transports en commun, sur les ports des stations balnéaires balayées par les vents du large, le port du masque généralisé, donc, risque au contraire de générer des effets pervers. Avec un masque, on suffoque vite, on respire moins bien, on est moins audible, on a de la buée sur les lunettes, on se sent vite mal à l’aise (on n’a qu’une hâte en fait, l’ôter). On ne parlera même pas du fait qu’il est pour le moins étrange, quand on se promène seul·e, dans une rue déserte d’un quartier résidentiel, en pleine nuit, d’être passible d’une amende de 135 € puis de risquer 6 mois de prison et 3 750 € d’amende en cas de récidive si jamais on avait la malchance d’être surpris·e sans masque, en flagrant délit donc de non-respect des mesures édictées dans une circonscription territoriale où est déclaré l’état d’urgence sanitaire.

Et puis on le touche sans cesse, alors que les protocoles d’hygiène concernant l’usage desdits masques sont très stricts : ils ne doivent pas être touchés (sinon pour être jetés), ils doivent avoir une certaine trame et une certaine composition, ils ne doivent pas être portés trop longtemps, ils doivent être bien posés et ne pas laisser le nez dépasser, ni les flux d’air circuler sans filtre... Dans tous les cas contraires, au-delà d’être un peu effrayants et de rameuter un imaginaire dystopique, d’étouffer les voix et de masquer les rictus, les lèvres et les sourires, ils deviennent vite des bouillons de culture microbienne potentiellement dangereux : ils risquent d’affaiblir ceux qui les portent trop ou mal, à tout bout de champ, aboutissant dès lors à l’inverse de l’objectif visé affiché qui est, on le suppose, de prendre soin de la population en imposant ce port du masque.


Ce problème du port du masque, mis sans respecter un protocole méticuleux, avait d’ailleurs déjà été dénoncé en mars dernier par l’ex-porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye : « Parce que l’utilisation d’un masque, ce sont des gestes techniques précis, sinon on se gratte le nez sous le masque, on a du virus sur les mains ; sinon on en a une utilisation qui n’est pas bonne, et ça peut même être contre-productif. »

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Pour toutes ces raisons, il apparaît urgent de se questionner, chacun à son échelon, sur ces mesures coercitives imposées par l’État, certaines mairies et préfectures. Sont-elles vraiment adaptées aux conditions sur le terrain ? Sont-elles nécessaires ? Contribuent-elles à dégrader les conditions de travail de nombreuses professions et les conditions de vivre ensemble qui nous sont habituellement si chères et bénéfiques, tant dans les lieux associatifs, familiaux ou aux abords et dans les écoles de nos enfants, sans même parler des secteurs culturel et sportif (où, tiens, dans quelques exceptions, le port du masque – « si l’activité ne le permet pas » – n’est pas obligatoire, moyennant quelque distanciation physique, ou parfois aucune…) ? Quelle logique suivent ces mesures catapultées sans consultation par des experts disruptifs dont l’impartialité n’est pas forcément la priorité ? D’autres solutions, locales, pensées par celles et ceux qui auront à les appliquer, ne sont-elles pas souhaitables ? La logique de la peur irrationnelle (qui conduit chacun·e à porter tant bien que mal un masque et à ne plus voir en autrui que la source anxiogène d’une contamination et d’une mort quasi certaines et, également, à fustiger ou se sentir en droit et en devoir de blâmer publiquement ou rappeler à l’ordre tout contrevenant à la règle édictée par le haut, tout en haut, par nos chers pouvoirs publics cacophoniques et retraduits par nos chères préfectures et de nouveau de façon descendante, retraduits péniblement dans chaque coin de nos cités), alors que l’épidémie est statistiquement terminée (il n’y a qu’une demi-douzaine de personnes en réanimation sur toute la Bretagne !), que les cas dépistés sont dans leur immense majorité absolument bénins, ne doit-elle pas céder la place à une logique de retrouvailles, de concorde, d’osmose et de mieux-être qui, plus ambitieuse, obligerait à se poser d’autres questions que celle du port du masque (qui occupe tous les esprits et une bonne partie de l’espace médiatique comme le port de la burka à une autre époque). N’est-il pas urgent de promouvoir d’autres logiques (visant à réduire les temps de travail ; à améliorer notre alimentation ; à réduire les polluants dus aux transports, à l’agroalimentaire, aux industries et à la production d’énergie ; à résorber les grandes précarités ; à bonifier ou préserver les cadres de vie et les biotopes…) – si tant est que c’est réellement le bien-être de toute la population qu’on désire ?


PS : On rappellera également que c’est grosso modo la même idéologie qui infuse à la tête de l’État et la même équipe gouvernementale qui impose aujourd’hui des mesures (critiquables, démagogiques, partielles, inéquitables) que celle qui eut à gérer l’hiver dernier cette crise sanitaire avec la prescience et la sagacité que l’on sait.


 

Cyrille Cléran

Rennes, 14 septembre 2020

  


1 En Suisse aussi, des éditorialistes du Centre patronal comme Pierre-Gabriel Bieri nous mettent vivement en garde. Quoi qu’il en coûte, l’économie (dont on connaît les ravages qu’elle cause) ne doit pas ralentir et on ne doit pas se laisser aller à penser qu’un tel ralentissement est souhaitable. « Il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire de se laisser séduire par ses apparences insidieuses : beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation... Cette perception romantique est trompeuse, car le ralentissement de la vie sociale et économique est en réalité très pénible pour d’innombrables habitants qui n’ont aucune envie de subir plus longtemps cette expérience forcée de décroissance. La plupart des individus ressentent le besoin, mais aussi l’envie et la satisfaction, de travailler, de créer, de produire, d’échanger et de consommer. On peut le faire plus ou moins intelligemment, et on a le droit de tirer quelques leçons de la crise actuelle. Mais il est néanmoins indispensable que l’activité économique reprenne rapidement et pleinement ses droits. » (15 avril 2020)

2 Par ailleurs, on remarquera que les personnels qui gardent leur masque pour travailler l’ôtent pour manger… à côté de leurs collègues démasqués.

3 In Cataclysmes - Une histoire environnementale de l'humanité, chap. « Hasards biologiques », coll. « Petit biblio Payot », Paris, 2017, prix de l'Académie française Léon de Rosen 2018, p. 220, édition de poche, 526 pages, 11 €.

 

dimanche 10 mai 2020

𝘗𝘢𝘯𝘵𝘩𝘦𝘳𝘢 𝘵𝘪𝘨𝘳𝘪𝘴 et jambon-fromage


Quand on n’est pas capable de chevaucher une chauve-souris, ni de driver un pangolin, à quoi bon prétendre à débourrer un tigre (310 kg de muscles et de vélocité féroce) ? 

N’oublions pas qu’Emmanuel Macron est lui aussi un enfant de la télé-réalité. La vacuité d’un scénario torché à la va-vite ou d’un dialogue improvisé, la putasserie d’une mise en scène débilitante sont autant de choses desquelles il est hautement familier – même s’il préfère s’associer au philosophe Paul Ricœur (1913-2005) ou à Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de La Fayette (1634-1693) et accessoirement autrice de La Princesse de Clèves, celui qui prend conseil auprès de Paul Bismuth pour ce qui est de la stratégie géopolitique à suivre, n’en demeure pas moins sous l’influence des Loana, Cyril Hanouna et consorts.
Extrait du Guide des parents confinés produit par Marlène Schiappa et son magistral Secrétariat d’État auprès du Premier ministre, chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations (page 30).


Alors quand on lui dit que 23, 24, 35 puis 36 millions de paires d’yeux sont braquées sur ses apparitions magiques dans la petite lucarne, l’ex-collégien de La Providence amiénoise ne boude pas son plaisir. Il exulte. Il bande, il illumine, il irradie. Il dégorge de vannes et de références délicieuses : il nous parle de pâtes et de jambon, de répétitions théâtrales devant 15 élèves déconfinés dont la vie en sera à jamais chamboulée (il se raconte, se souvient de ses premières amours écloses dans de pareilles circonstances, dans un établissement jésuite néanmoins, sous la houlette de sa prof de français et de latin, devenue depuis la Première dame du pays). Il nous parle aussi de tigres et autres billevesées, qui auront surtout l’avantage de masquer l’absence absolue des mesures de grande ampleur qui auraient pu être prises s’il en avait vraiment eu quelque chose à carrer, de la situation sombre des intermittents et autres professions en danger : moratoire sur les loyers ; revenu universel ; réduction des budgets liés à la Défense et à l’arme nucléaire pour abonder ceux de la Culture, de l’Éducation ou de la Santé ; préservation des espaces-espèces naturel·les et autres limitations des pollutions ; fin du règne du productivisme débridé – dont on sait sans conteste la nocivité. Bref, la Lune était pleine. Notre président devait penser que c’était la meilleure période pour nous la vendre.


Cyrille Cléran

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