dimanche 3 avril 2022

Profession de foi pré-électorale

Pourquoi je ne voterai jamais pour certains tristes sires & comment s'est forgée ma conviction du moment (à savoir que JLM ferait un – très – bon président)


L'opération César (2012) est un marqueur important. L'État déclenche une opération quasi militaire pour déloger des manifestant·e·s et des militant·e·s dont le seul tort est de résister (depuis des décennies) activement, physiquement, collectivement, internationalement, passionnément et intergénérationnellement à ce qui est considéré comme un Grand projet inutile imposé (GPII), c'est-à-dire l'implantation d'un aéroport moderne gigantesque sur un bocage préservé où cohabitent espèces protégées et pratiques humaines, agricoles et artisanales, sur une zone humide paisible et bucolique – un réservoir d'eau, de biodiversité, de savoir-faire et de calme, toutes choses précieuses s'il en est.

L'État montre alors que les préoccupations environnementales, écologiques, climatiques, sociétales des humbles personnes qui peuplent cette Zone à défendre (Zad) sont juste bonne à être balayées d'un revers de la main et noyées sous des nuages de gaz lacrymogènes. Toute visée alternative à la toute-puissance de l'économie mondialisée néolibérale* doit être circonscrite, éradiquée, combattue, médiatiquement, législativement et puis, s'il le faut, militairement.

Cette opération conduira à un échec cuisant pour François Hollande, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et la gendarmerie qui reculent devant une opposition populaire irréductible – El pueblo unido jamás será vencido (« Le peuple uni ne sera jamais vaincu »). Les zadistes, pourtant continuellement étrillés par la presse mainstream du Figaro à Ouest-France en passant par Le Point et Paris-Match, remportent une victoire à la fois concrète (le bocage et ses ressources sont préservés) et symbolique (les directives d'un État au service de Vinci et consorts peuvent être expédiées vers les oubliettes de l'histoire, prouvant que ce ne sont pas toujours le bitume, le béton, les actionnaires et Airbus qui l'emportent).

Photo Damien Meyer/AFP

En 2018, avec hargne, Emmanuel Macron et Édouard Philippe relancent une offensive armée contre la Zad de Notre-Dame-des-Landes afin d'évacuer quelques fermes et cabanons, alors même que le GPII est abandonné. Il s'agit de châtier, blesser, humilier, expulser, détruire les lieux de vie et le moral des insolents réfractaires. On déplorera une main arrachée à cause d'une grenade lancée par les gendarmes.

On peut être sûr que celles et ceux qui s'acharnent contre ces territoires de bocage ont depuis longtemps perdu tout lien poétique – voire mystique – avec le bucolique, avec cette nature domestiquée qui n'est pourtant pas seulement un lieu d'exploitation des ressources et de productivisme préjudiciable. Qu'ils ont rompu tout lien fraternel avec celles et ceux qui habitent, hantent et animent ces lieux. Et que leur principal souci est d'écraser toute velléité de créer un contre-projet politiquement viable – de tuer dans l'œuf cet embryon de société basée sur l'usage des communs, la gratuité, l'hospitalité inconditionnelle, l'entraide, la décroissance, l'absence de prison et de police.


Deux ans plus tôt, c'est la loi Travail, dite El Khomri (ministre du Travail du gouvernement du fétide Manuel Valls), qui remet le feu aux poudres. Les travailleurs conscientisés (qui auraient rêvé d'une toute autre réforme du monde du travail, avec moins de contraintes, moins de risques non pris en compte, moins d'heures, moins de précarité, de meilleurs salaires et plus de reconnaissance, de garanties, de formation, de sécurité, d'épanouissement possible, de congés et de jours fériés) sentent bien que ce projet de loi réduira leurs marges de manœuvre, fragilisera leur frêle statut (en facilitant les licenciements, indemnisés en fonction d'un nouveau barème favorable aux grosses entreprises, en diminuant la qualité de vie au travail avec le recul des comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), en ouvrant la possibilité pour les employeurs de négocier des accords moins favorables que ceux de la branche, avec le recours à des référendums pour contourner les syndicats majoritaires, avec la barémisation des indemnités prud’homales pour les salariés licenciés abusivement, en abaissant la qualité des indemnités dans le cas du travail de nuit, etc.), précarisant donc de fait une frange grandissante de la population laborieuse – ou cherchant à l'être, laborieuse, car désormais, ce n'est plus le chômage qu'il s'agit de combattre (celui-ci au contraire est une bénédiction, pour les cols blancs qui dressent les codes, car la menace qu'il fait peser sur le prolétariat incite chacun·e à accepter n'importe quelles – mauvaises – conditions de travail), mais les chômeurs, « ceux qui ne sont rien » et que l'on pointera du doigt comme des assistés, des parasites, des fainéants, des réfractaires qui profitent de leurs droits (au lieu d'honorer leurs devoirs, notamment celui d'être corps et âme au service de l'économie victorieuse numérique et délocalisable de la start-up nation), abusent des allocations (pour s'acheter des écrans plats à chaque rentrée scolaire, comme le prétend notre salopard de bon ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports Jean-Michel Blanquer)...

La répression des manifestations contre la loi Travail sera particulièrement poivrée. À Rennes, sur le quai Chateaubriand, le 28 avril 2016, Jean-François Martin, étudiant en géographie, est éborgné par un tir de LBD40. Voilà les premiers effets réels de cette loi qui pour beaucoup paraît technique, éloignée de leurs préoccupations, abstraite. Le 15 septembre, à Paris, une grenade lancée par un CRS éborgne un manifestant... À travers ces agressions dramatiques transparaît clairement une vision du monde assez sombre : au nom de réformes pensées par des technocrates douillets aux ongles manucurés, des hommes politiques sont prêts (via leurs hommes de main) à mutiler des citoyen·ne·s pour faire passer des lois impopulaires qui réduiront considérablement les droits des travailleurs.

Malgré les contestations massives, la loi El Khomri va être entérinée (via l'usage, très controversé, de l'article 49.3) puis appliquée en janvier 2018 suite aux ordonnances signées avec zèle et gourmandise par E. Macron devenu président (et qui, dans la foulée, réformera l'assurance chômage, parce qu'il ne faudrait pas que les petites gens prennent trop leurs aises avec les indemnités royales procurées par Pôle emploi). Plutôt éborgner que dialoguer avec le prolétariat** devient la nouvelle doctrine de ces hommes et de ces femmes acquis·e·s à l'idéologie néolibérale (cette idéologie qui place le Produit intérieur brut au-dessus du Bonheur national brut ou du Bonheur intérieur net).


Tenant de cette ligne dure, E. Macron a une œuvre à poursuivre – et on se doute bien que ce ne sont pas les intérêts de la classe laborieuse surexploitée qui lui importent, ni l'urgence climatique comme en atteste la façon dont il aura traité le sujet. Il a donc été élu après une campagne où les unes complaisantes des médias mainstream n'auront pas manqué, imposant son image de candidat sexy, jeune et dynamique, brillant et moderne, bel homme sportif et élégant, lettré et philosophe, beau parleur au destin hors du commun, marié à une femme plus âgée que lui – disruptif en diable.


C'est à ce moment-là qu'un collègue (je suis alors AVS en CDD à temps partiel dans un collège public de la périphérie rennaise), prof d'histoire-géo érudit, cinéphile antifasciste et plein d'humour, va m'inciter à jeter un œil sur les propositions et positions de la France Insoumise, m'encourageant à aller au-delà des a priori réducteurs et de mauvaise foi concernant Jean-Luc Mélenchon allègrement colportés par une presse acharnée à le combattre et à le présenter sans cesse sous un jour défavorable – tantôt adorateur du président vénézuélien Hugo Chávez, tantôt adepte des méthodes castristes, tantôt nostalgique du bolchevisme le plus sanglant et d'un collectivisme inopérant, puis poutinolâtre quand on assistera avec effroi à l'invasion de l'Ukraine.

Guidé par ce collègue et sous son impulsion, débattant régulièrement avec lui en salle des profs, je vais donc peu à peu écouter les discours de cet orateur hors-pair, consacrer beaucoup de temps à me documenter et à me tenir correctement informé, suivre les trajectoires des députés et porte-paroles qui sont de son bord (Manon Aubry, Mathilde Panot, François Ruffin, Alexis Corbière, Adrien Quatennens, Caroline Fiat, Manuel Bompard, David Guiraud, qui intervient régulièrement sur Le Média...) et leur reconnaître au fil de mes investigations une certaine valeur, du courage, de la dignité et de la constance – sans parler d'une certaine forme d'abnégation.

Et je vais constater que la France Insoumise accompagne les mouvements sociaux, se place aux côtés des Gilets jaunes plutôt que dans le camp de ceux qui minimisent – ou applaudissent – lorsqu'un Gilet jaune est éborgné ou mutilé.

Une des réformes prioritaires souhaitée par JLM est d'ailleurs que la police soit refondée de la cave au grenier pour que cessent les exactions et l'impunité – et, bien sûr, que l'Inspection générale de la police nationale soit remplacée par un organe de contrôle indépendant.

Ces réformes paraîtront anodines pour quiconque, naïvement, considère que la police est républicaine, qu'elle est là pour assurer la sécurité de tous et que les policiers font globalement correctement leur métier. Mais elles sont considérables pour toutes celles et tous ceux, de plus en plus nombreux·ses, qui ont eu à pâtir de ses dysfonctionnements systémiques, les ont constatés – lors d'une garde à vue, lors d'une nasse, lors de tirs policiers à bout portant sur des manifestants désarmés, lors d'un contrôle au faciès, à cause d'une banderole revendicative, à cause d'une auto-attestation raturée lors d'un « déplacement hors du domicile sans document justificatif conforme dans une circonscription territoriale où l'état d'urgence sanitaire est déclaré », à cause d'un délit de sale gueule (généralement noire ou basanée), lors d'une charge de CRS un jour de 1er mai ou lors du blocus d'un lycée en lutte contre Parcoursup, lors d'une rave-party inondée de lacrymogènes à Lieuron le 31 décembre 2020 et de grenades mutilantes à Redon dans la nuit du 18 au 19 juin 2021, ou d'une fête de la musique endeuillée à Nantes... Et c'est peut-être pour cela que certain·e·s ne voteront pas pour lui en avril 2022 : parce que trop de gens n'ont pas encore compris que les drames qui se sont abattus sur les familles de Cédric Chouviat (1977-2020), d'Adama Traoré (1992-2016), de Babacar Gueye (1988-2015), de Steve Maia Caniço (1997-2019), etc., et dans une moindre mesure sur Jérôme Rodrigues (éborgné à Paris en 2019 par la police), sur Antoine Boudinet (qui a eu la main arrachée le 8 décembre 2018 à Bordeaux), ne sont pas des cas isolés mais des victimes d'un ensemble de directives d'État, de lois scélérates durcissant et militarisant toujours plus les modes opératoires de la police, de passe-droits (toutes choses dont la somme forme système) et d'une ambiance délétère tragiquement cultivée par de tristes sires comme Didier Lallement, Christophe Castaner, Gérald Darmanin et autres affidés du syndicat policier d'extrême droite Alliance.

Mais c'est aussi parce que ces éléments à savoir ces violences policières (documentées par exemple par  l'anthropologue Didier Fassin ou répertoriées par le sociologue Pierre Douillard-Lefèvre dans Nous sommes en guerre - Terreur d'État et militarisation de la police, éd. Grevis, Caen, 2021), ces injustices devenues flagrantes, ne sont plus possibles à nier et sont de fait devenues insupportables que quelqu'un comme JLM peut être élu. Car il a choisi d'y mettre un frein. De refuser la politique de plus en plus droitière (pour ne pas dire fascistoïde) menée en haut-lieu, au mépris des manants et de nos droits sociaux. D'apporter un coup d'arrêt aux contre-réformes de cette Macronie qui se croit invincible et légitime pour saccager tous les services publics les uns après les autres (hôpital, écoles, universités, poste, rails, etc.).

Il y aurait bien sûr beaucoup d'autres raisons de pencher le 10 avril 2022 pour la candidature de JLM : éviter un fastidieux duel Macron-Le Pen ; ne pas reculer l'âge de la retraite ; accorder un accueil digne aux réfugiés d'où qu'ils viennent ; agir autant que possible pour le biotope et interdire certains produits nocifs comme les glyphosates ou les néocotinoïdes ; organiser des référendums pour les grands sujets de société ; partager avec un peu moins d'iniquité les richesses produites par les Français·e·s ; réduire le poids du nucléaire militaire et civil ; sortir de l'Otan pour ne plus dépendre des USA qui ne sont pas exemplaires en tout domaine ; augmenter le nombre de fonctionnaires ; revaloriser le Smic ; contrôler les prix des produits de première nécessité, etc. Alors pourquoi avoir peur de son élection ? Que peut-elle amener de si grave ? Et à l'inverse, quels espoirs pourra-t-elle faire naître au sein de la population ? Comment ne pas se réjouir de la préparation d'une VIe République en rupture avec cet ancien monde qui ne fonctionne plus, qui montre des dysharmonies de tous les côtés, qui ne crée plus que du clivage et de la contestation sur fond de corruption et de népotisme ? Comment ne pas rêver d'une VIe République en phase avec les (lourdes) préoccupations de l'époque (changement climatique, inégalités galopantes, pollution, extinction massive des espèces vivantes...) et ne pas avoir envie de se remonter les manches pour répondre à ces défis avec toute la lucidité, la persévérance, la générosité et l'inventivité dont les humains sont capables de faire preuve lorsqu'ils agissent au nom du bien commun universel ? Une assemblée constituante citoyenne, dont les mesures seront écoutées, respectées, suivies par l'exécutif (à la différence de la Convention citoyenne pour le climat dont les propositions ont hélas quasi toutes été rejetées et vidées de leur sève par Macron) sera un outil formidable pour élaborer le changement dont beaucoup rêvent.


Cyrille Cléran


* Les politiques néolibérales (que nous subissons ou contestons) considèrent que les forces de l'argent, de l'économie capitaliste (et du luxe qui va avec pour ceux qui en jouissent) doivent non seulement prévaloir mais, qu'en plus, l'État (la puissance publique) doit se mettre à leur service et orienter ses efforts au bénéfice de ces multinationales et de ces groupes cotés en bourse qui ne jurent que par la croissance (qu'ils escomptent infinie) et les bénéfices qui s'ensuivent (pour celles et ceux qui possèdent des actions).

** Le prolétariat est constitué de l'énorme majorité de ces gens qui vendent leur force de travail (intellectuel, technique ou manuel), leur temps, leur matière grise et leur enthousiasme pour gagner leur croûte. NB : on peut être millionnaire et avoir des idées favorables aux prolétaires, ou qui a minima prennent en compte leurs besoins ; F. Engels qui soutint K. Marx et publia Le Capital était ainsi l'héritier d'un riche industriel rhénan.

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