lundi 26 mars 2012




Ferme ta gueule, Marine.

L’humour vert-de-gris de ton père a été pénible durant plusieurs décennies. Son éloquence (hargneuse) et son sens de la provocation (déplorable) étaient ses atouts.

Les tiens, d’atouts, sont ta blondeur, tes formes presque girondes, tes sourires enjôleurs et ta fausse candeur. Sont-ce dans un cas comme dans l’autre des qualités suffisantes pour prétendre à présider à nos destinées le temps d’un quinquennat ? La réponse est tellement évidente qu’on se demande comment le père puis la fille réunirent les 500 signatures nécessaires à leur candidature. Du coup, à chaque élection, on subit ad nauseam les mêmes logorrhées haineuses, les mêmes arguments fallacieux, les mêmes raisonnements fascisants, qui conduiraient au désastre si on les suivait à la lettre.

Ferme ta gueule, Marine.

 Tes schémas puent. Tes calculs sont criminels. Tes raccourcis sont odieux, tes mensonges éhontés, tes approximations insupportables, tes postures minables, tes prétentions risibles. Deux de tes propositions-phares me suffisent à te honnir : le rétablissement de la peine de mort et la préférence nationale. Le châtiment suprême et la ségrégation au quotidien comme nouveaux repères ? Non merci, Marine. Ferme ta gueule. On t’a assez entendue. On n’a pas besoin de tes solutions pour la France.

Teins-toi en rousse, mets des mini-jupes, va t’éclater en boîte, pars en congé sabbatique aux Philippines, consacre-toi au bénévolat au sein d’un orphelinat, fais du trekking dans l’Himalaya et reviens lorsque tu auras une preuve de l’existence des yetis, écris un livre pour enfants avec des trolls et des dragons, lance ta ligne de fringues inspirées de mangas tokyoïtes, cultive ton jardin et ton potager, élève des chèvres ou des lamas, fais ce qu’il te plaira mais please, bitte, por favor, sois cool : ferme ta gueule.

من فضلك

Cyrille Cléran

samedi 17 mars 2012


Pour en finir avec les références au « Monde des Bisounours »


Le monde est une vaste compétition, l’économie d’aujourd’hui est impitoyable, on n’est pas dans le monde des Bisounours, on ne peut pas toujours faire dans la dentelle, être dans la tendresse ; il y a des contraintes liées à la mondialisation, une concurrence accrue entre l’Europe et la Chine et les pays émergents. Les entrepreneurs ne sont pas des philanthropes. On ne peut pas maintenir les emplois en France, quand on sait que des ouvriers produisent pour dix fois moins cher au Maroc ou à Singapour.

Combien de fois aura-t-on entendu cette resucée ?

Quand il s’agit de justifier une bonne grosse foirade (plan social massif, serrage de vis saignant, réduction des effectifs dans les crèches ou les hôpitaux, etc.), les Bisounours sont invoqués. Quand le dialogue social est rompu, quand le civisme minimum est dévoyé, quand le profit (indécent) des uns justifie de réduire (drastiquement) les (minces) avantages des autres, quand la loi du marché atomise les lois de la bienséance, alors on appelle à la rescousse les Bisounours.

Le Bisounours, à titre informatif, est un nounours au pelage pastel avec des étoiles, des arcs-en-ciel, des gâteaux ou des cœurs dessinés sur le ventre (Grognon, Groschéri, Grosfarceur, Grosdodo, etc.). Commercialisés par Kenner, qui appartient désormais au groupe Hasbro, les Bisounours sont déclinés en toutes sortes de produits dérivés (dessins animés, cartables, clips, chansons, films d’animation, pyjamas, housses de couette…). C’est une industrie du doudou et du gadget qui marche bien. Vendus par millions, les Bisounours en peluche ont aidé autant d’enfants à s’endormir. Que les adorables Bisounours soient aujourd’hui opposés aux cruautés du monde moderne et aux corruptions des valeurs humaines est une triste évolution, alors même qu’ils sortent de manufactures souvent délocalisées en Asie. Les hommes sont incorrigibles : ils ne peuvent s’empêcher de flétrir leurs idoles (Jésus-Christ, Marx, et aujourd’hui Groscopain).

Ça veut dire quoi, concrètement ? Eh bien tout simplement que, à l’identique du fameux point Godwin (toute controverse en ligne, à plus ou moins long terme, pour clore le débat, finit par évoquer le nazisme), les Bisounours sont utilisés quand on n’a pas d’autre argument à faire valoir. Si bien qu'alors et par voie de conséquence, n’ayant pas grand-chose à dire, si ce n'est qu'on n'est pas chez les Bisounours (merci pour l'information), le triste rhéteur qui les convoque dans ses argumentations pour défendre quelque saloperie, aurait peut-être mieux fait de se taire.

Bref, pourquoi souiller ce monde merveilleux, celui de l’innocence et de la douceur, qui sont des besoins vitaux, quoi qu’on en dise par ailleurs ? Dira-t-on, un jour, aux enfants, pour les rassurer lorsqu’une angoisse invisible les saisira, qu’ils ne vivent pas dans le monde de Jean-Cyril Spinetta, Marcel Dassault et Franck Riboud ?

Cyrille Cléran


L’ivre de papier 

Les livres contiennent le savoir. Une partie du moins du savoir. Écrits par les hommes, ils parlent des hommes, de leurs pratiques, de leurs rêves, de leurs peurs. Voudrais-tu connaître les hommes ? Fréquente-les. Ou lis. Rares sont les artefacts qui possèdent cette magie. Les livres sont nos avatars les plus fidèles (du moins le sont-ils depuis plusieurs siècles, car à certains signes, on peut penser que les blogs sont en train de prendre la relève et que les éditions papier bientôt appartiendront au passé, les éditeurs traditionnels relégués dans la catégorie « métiers d’antan », en compagnie des meuniers, forgerons, étameurs et autres spadassins). 
Chaque livre renforce tous les autres. Chaque livre se nourrit de tous les autres (ça marche aussi avec les blogs). Là encore, le parallèle avec les hommes fonctionne : les hommes aussi se nourrissent (au sens spirituel s’entend, on n’est pas des cannibales) de tous les hommes qui les auront précédés ou qu’ils croiseront sur leur bonhomme de chemin. 
L’homme comme le livre sont des êtres sociaux : un homme seul ou un livre seul sont des contresens.
Car si l’homme a besoin de tous les autres pour exister, le livre est dans la même situation. En témoigne la pugnacité de l’auteur qui doit assimiler des dizaines de milliers de pages avant d’oser espérer, à son tour, pondre quelques paragraphes dignes de ce nom. En témoigne l’abnégation de l’éditeur qui doit se taper des dizaines de manuscrits pourris, les trier, les amender, mais aussi se frotter aux productions incessantes de ses confrères prestigieux afin de goûter à l’excellence de livres publiés consciencieusement. En témoigne la persévérance de l’imprimeur qui, pour un livre valable édité, devra, pour gagner sa croûte ou remplir le réservoir de son Kangoo, imprimer des quantités invraisemblables de prospectus et de mémoires de maîtrise en neuf exemplaires que personne ne lira jamais si ce n’est quelques étudiants un peu masos et autres profs bienveillants. En témoigne la vaillance des libraires, qui accumulent des stocks merveilleux dans lesquels on viendra piocher dans l’allégresse et qui, jamais, ne proposent qu’un seul livre. En témoigne le dévouement des bibliothécaires qui vérifient la validité des cartes de lecteurs, lesquels, empressés de dévorer leur bd ou se vautrer devant leur dvd, regarderont à peine la personne employée à autoriser la sortie et homologuer les retours de tous ces petits trésors. 
Combien de livres lus, au final, pour un livre édité ? 
Une parution est le fruit d’un lent travail d’agrégation, de mise en commun des moyens et des techniques, d’écrémage, d’affinage, de bonification, de macération, de chaptalisation. Pour poursuivre dans la métaphore viticole, on pourra à toutes fins utiles réfléchir à ce problème, qui n’en est pas vraiment un : pour une bouteille produite par un vigneron de Lamure-sur-Azergues, combien de bouteilles devront être bues par celui-ci ? 

Cyrille Cléran

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