samedi 17 mars 2012

L’ivre de papier 

Les livres contiennent le savoir. Une partie du moins du savoir. Écrits par les hommes, ils parlent des hommes, de leurs pratiques, de leurs rêves, de leurs peurs. Voudrais-tu connaître les hommes ? Fréquente-les. Ou lis. Rares sont les artefacts qui possèdent cette magie. Les livres sont nos avatars les plus fidèles (du moins le sont-ils depuis plusieurs siècles, car à certains signes, on peut penser que les blogs sont en train de prendre la relève et que les éditions papier bientôt appartiendront au passé, les éditeurs traditionnels relégués dans la catégorie « métiers d’antan », en compagnie des meuniers, forgerons, étameurs et autres spadassins). 
Chaque livre renforce tous les autres. Chaque livre se nourrit de tous les autres (ça marche aussi avec les blogs). Là encore, le parallèle avec les hommes fonctionne : les hommes aussi se nourrissent (au sens spirituel s’entend, on n’est pas des cannibales) de tous les hommes qui les auront précédés ou qu’ils croiseront sur leur bonhomme de chemin. 
L’homme comme le livre sont des êtres sociaux : un homme seul ou un livre seul sont des contresens.
Car si l’homme a besoin de tous les autres pour exister, le livre est dans la même situation. En témoigne la pugnacité de l’auteur qui doit assimiler des dizaines de milliers de pages avant d’oser espérer, à son tour, pondre quelques paragraphes dignes de ce nom. En témoigne l’abnégation de l’éditeur qui doit se taper des dizaines de manuscrits pourris, les trier, les amender, mais aussi se frotter aux productions incessantes de ses confrères prestigieux afin de goûter à l’excellence de livres publiés consciencieusement. En témoigne la persévérance de l’imprimeur qui, pour un livre valable édité, devra, pour gagner sa croûte ou remplir le réservoir de son Kangoo, imprimer des quantités invraisemblables de prospectus et de mémoires de maîtrise en neuf exemplaires que personne ne lira jamais si ce n’est quelques étudiants un peu masos et autres profs bienveillants. En témoigne la vaillance des libraires, qui accumulent des stocks merveilleux dans lesquels on viendra piocher dans l’allégresse et qui, jamais, ne proposent qu’un seul livre. En témoigne le dévouement des bibliothécaires qui vérifient la validité des cartes de lecteurs, lesquels, empressés de dévorer leur bd ou se vautrer devant leur dvd, regarderont à peine la personne employée à autoriser la sortie et homologuer les retours de tous ces petits trésors. 
Combien de livres lus, au final, pour un livre édité ? 
Une parution est le fruit d’un lent travail d’agrégation, de mise en commun des moyens et des techniques, d’écrémage, d’affinage, de bonification, de macération, de chaptalisation. Pour poursuivre dans la métaphore viticole, on pourra à toutes fins utiles réfléchir à ce problème, qui n’en est pas vraiment un : pour une bouteille produite par un vigneron de Lamure-sur-Azergues, combien de bouteilles devront être bues par celui-ci ? 

Cyrille Cléran

2 commentaires:

  1. Très bel hommage aux livres, à la lecture et aux lecteurs.
    Donc je fais exactement ce que je faisais quand je découvrais un chouette livre : j'allais dans un bistrot, je parlais avec le premier venu et lui donnais le livre après lui en avoir parlé.
    Je partage.

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