dimanche 14 octobre 2012

Vu à la télé

Geoffroy Didier, 36 ans, avocat, Umpiste formé à Harvard, est un représentant de la droite dure, forte, hétérosexuelle et tricolore. Nostalgique thuriféraire de Sarkozy, il se dit contre les mosquées équipées de minarets (entendu hier soir chez Ardisson dans « Salut les Terriens »). Des mosquées ? Oui. Mais des minarets : non ! Pourquoi ? Parce que la France est de culture judéo-chrétienne ; les minarets, anti-culturels, seraient donc indésirables.
La question qui me vient à l'esprit : à quoi cela sert-il d'aller faire des études outre-Atlantique si c'est pour ensuite manquer à ce point de recul et de connaissance ? Car contrairement à ce que professe ce jeune avocat, les populations installées sur ce territoire qu'on appelle aujourd'hui France n'ont pas attendu les dogmes et les paroles d'Évangiles des émissaires papaux venus de Rome ou d'Avignon pour posséder une culture. Les Celtes, les Angles, les Saxons, les Grecs, les Vikings, etc., ont apporté leur grain de sel, leurs techniques, leurs croyances, leurs modes de vie. Le brassage depuis la nuit des temps est heureusement ininterrompu. Et ce n'est pas Geoffroy Didier qui y pourra quelque chose. Les religions, les politiques, les superstitions, les scepticismes se sont succédé, hybridés, confrontés, amalgamés, abâtardis. En tout bien tout honneur. Et parfois aussi dans l'horreur. Ce sont des faits. En témoignent les résidus d'animismes, les mégalithes druidiques, les ruines de temples dédiés au culte des dieux antiques et autres sites préhistoriques qui parsèment landes et bocages.
Bref, que Geoffroy Didier soit chrétien, catholique, c'est une chose. Et c'est son droit, garanti par notre république laïque. Qu'on réduise en revanche la France à une terre catholique, c'en est une autre. N'en déplaise à Benoît XVI (si jamais il parcourt ce blog).
En conséquence de quoi, de la même façon qu'on acceptera les fontaines magiques, les grottes sacrées, les chênes enchantés, les autels merveilleux, les cathédrales monumentales, les synagogues ouvragées, les stupas colorés et les MJC ornées de graffitis subventionnés, on devra tolérer (voire encourager) la construction de mosquées aussi originales et typées soient-elles (et plus elles le seront, mieux ce sera !). L'architecture est un art majeur. Ce serait triste de vouloir le brimer au fallacieux prétexte que la France, au XVIIe siècle, fut considérée comme la fille aînée de l'Église romaine par quelques fieffés emmanchés qui n'y voyaient que des avantages.
Tout ça pour dire qu'on ferait parfois mieux d'inviter quelques amis à la maison, autour d'un bol d'olives et de toasts au tarama, plutôt qu'allumer la télé où s'invitent des clampins pareils.

Cyrille Cléran

jeudi 19 juillet 2012

Tome Ford


Pour vendre des Ford Fiesta (« Les coucous suisses picorent le temps, je répète, les coucous suisses picorent le temps, on n'arrête pas un sablier qui marche… 8 990 euros sans condition de reprise… »), une pub passe en boucle. Elle imite le vieux son et le phrasé de Radio-Londres. Cette parodie de « Les Français parlent aux Français » sert aujourd’hui à refourguer des bagnoles. En 1940, débarquant d’Angleterre, cette émission sur la BBC diffusait des codes cryptés destinés à la Résistance. Écouter sur sa TSF ces messages transmis d’outre-Manche exposait quiconque était surpris dans cet acte de contestation vis-à-vis de l’occupant allemand, à la peine de mort. Il y a eu une époque où brancher sa radio était un premier pas sur le chemin de la bravoure ; c’est désormais profiter d’un flot d’opinions parfois puantes, de publicités abondantes quelquefois putrides, de faits divers décrits avec une espèce de concupiscence ignoble. Les publicitaires contribuent-ils ici à faire fonctionner le devoir de mémoire, à faire œuvre de pédagogie en rappelant tel ou tel épisode historique ? Ou bien s’agit-il d’une petite indécence quotidienne, d’un oubli de la déontologie, d’un manque de vergogne passager, d’une récupération grotesque de symboles d’une époque où l’héroïsme était la seule issue et où le sort de l’Europe se joua, dans les larmes, la chiasse et le plomb fondu ? Doit-on s’attendre maintenant à entendre les mérites d’un désherbant vanté car plus puissant que le Zyclon B et l’acide cyanhydrique réunis ? Faudra-t-il bientôt subir une réclame pour des tronçonneuses Black & Decker qui reprendra sur le ton de la facétie les slogans que Radio Mille Collines répandit en 1993 dans la région des Grands Lacs ? Devons-nous nous attendre à ouvrir grand nos mirettes pour une publicité mettant à l’honneur les qualités de lampes de bureau sur fond d’images de prisonniers de Guantanamo condamnés à rester 24 heures sur 24 dans la lumière ? Puis verra-t-on naître ensuite un parti politique qui se nommera « Politique potentielle » ?
Le pire dans cette affaire est l’usage subliminal de la menace. « Achetez, achetez vite avant qu’il ne soit trop tard… l’heure tourne… l’heure est grave… au moins aussi grave qu’en 1942, alors que Londres était bombardée et que l’on gazait juifs, tziganes, communistes, suspects et autres ennemis du IIIe Reich à tour de bras et à pleins wagons… prenez la bonne décision, au plus vite, investissez dans une Fiesta ! Dépensez votre pognon, braves conducteurs, jeunes ou vieux, et entrez dans la danse des heureux propriétaires de voitures américaines quasi low-cost… ne laissez pas passer la bonne affaire… précipitez-vous chez votre concessionnaire ! des hommes sont morts en 39-45 pour défendre les libertés dont aujourd’hui vous jouissez et dont vous pourriez encore plus puissamment jouir si vous rouliez à bord de nos bolides climatisés » entend-on entre les mots avec un peu d’imagination. Le publicitaire s’ingénie à faire peur, avec l’alibi du pastiche, sur un ton supposé donc léger, en rappelant les pages incontestablement les plus noires de notre Histoire collective (qui compte pourtant un paquet de chapitres abominables). Quand un publicitaire et une grande firme automobile s’associent pour laisser planer une terreur, ou au minimum une angoisse, on peut sincèrement penser que des limites (peu glorieuses) auront été franchies. Or à force de franchir des limites, on finira sûrement par dépasser des bornes.
Cyrille Cléran

lundi 26 mars 2012




Ferme ta gueule, Marine.

L’humour vert-de-gris de ton père a été pénible durant plusieurs décennies. Son éloquence (hargneuse) et son sens de la provocation (déplorable) étaient ses atouts.

Les tiens, d’atouts, sont ta blondeur, tes formes presque girondes, tes sourires enjôleurs et ta fausse candeur. Sont-ce dans un cas comme dans l’autre des qualités suffisantes pour prétendre à présider à nos destinées le temps d’un quinquennat ? La réponse est tellement évidente qu’on se demande comment le père puis la fille réunirent les 500 signatures nécessaires à leur candidature. Du coup, à chaque élection, on subit ad nauseam les mêmes logorrhées haineuses, les mêmes arguments fallacieux, les mêmes raisonnements fascisants, qui conduiraient au désastre si on les suivait à la lettre.

Ferme ta gueule, Marine.

 Tes schémas puent. Tes calculs sont criminels. Tes raccourcis sont odieux, tes mensonges éhontés, tes approximations insupportables, tes postures minables, tes prétentions risibles. Deux de tes propositions-phares me suffisent à te honnir : le rétablissement de la peine de mort et la préférence nationale. Le châtiment suprême et la ségrégation au quotidien comme nouveaux repères ? Non merci, Marine. Ferme ta gueule. On t’a assez entendue. On n’a pas besoin de tes solutions pour la France.

Teins-toi en rousse, mets des mini-jupes, va t’éclater en boîte, pars en congé sabbatique aux Philippines, consacre-toi au bénévolat au sein d’un orphelinat, fais du trekking dans l’Himalaya et reviens lorsque tu auras une preuve de l’existence des yetis, écris un livre pour enfants avec des trolls et des dragons, lance ta ligne de fringues inspirées de mangas tokyoïtes, cultive ton jardin et ton potager, élève des chèvres ou des lamas, fais ce qu’il te plaira mais please, bitte, por favor, sois cool : ferme ta gueule.

من فضلك

Cyrille Cléran

samedi 17 mars 2012


Pour en finir avec les références au « Monde des Bisounours »


Le monde est une vaste compétition, l’économie d’aujourd’hui est impitoyable, on n’est pas dans le monde des Bisounours, on ne peut pas toujours faire dans la dentelle, être dans la tendresse ; il y a des contraintes liées à la mondialisation, une concurrence accrue entre l’Europe et la Chine et les pays émergents. Les entrepreneurs ne sont pas des philanthropes. On ne peut pas maintenir les emplois en France, quand on sait que des ouvriers produisent pour dix fois moins cher au Maroc ou à Singapour.

Combien de fois aura-t-on entendu cette resucée ?

Quand il s’agit de justifier une bonne grosse foirade (plan social massif, serrage de vis saignant, réduction des effectifs dans les crèches ou les hôpitaux, etc.), les Bisounours sont invoqués. Quand le dialogue social est rompu, quand le civisme minimum est dévoyé, quand le profit (indécent) des uns justifie de réduire (drastiquement) les (minces) avantages des autres, quand la loi du marché atomise les lois de la bienséance, alors on appelle à la rescousse les Bisounours.

Le Bisounours, à titre informatif, est un nounours au pelage pastel avec des étoiles, des arcs-en-ciel, des gâteaux ou des cœurs dessinés sur le ventre (Grognon, Groschéri, Grosfarceur, Grosdodo, etc.). Commercialisés par Kenner, qui appartient désormais au groupe Hasbro, les Bisounours sont déclinés en toutes sortes de produits dérivés (dessins animés, cartables, clips, chansons, films d’animation, pyjamas, housses de couette…). C’est une industrie du doudou et du gadget qui marche bien. Vendus par millions, les Bisounours en peluche ont aidé autant d’enfants à s’endormir. Que les adorables Bisounours soient aujourd’hui opposés aux cruautés du monde moderne et aux corruptions des valeurs humaines est une triste évolution, alors même qu’ils sortent de manufactures souvent délocalisées en Asie. Les hommes sont incorrigibles : ils ne peuvent s’empêcher de flétrir leurs idoles (Jésus-Christ, Marx, et aujourd’hui Groscopain).

Ça veut dire quoi, concrètement ? Eh bien tout simplement que, à l’identique du fameux point Godwin (toute controverse en ligne, à plus ou moins long terme, pour clore le débat, finit par évoquer le nazisme), les Bisounours sont utilisés quand on n’a pas d’autre argument à faire valoir. Si bien qu'alors et par voie de conséquence, n’ayant pas grand-chose à dire, si ce n'est qu'on n'est pas chez les Bisounours (merci pour l'information), le triste rhéteur qui les convoque dans ses argumentations pour défendre quelque saloperie, aurait peut-être mieux fait de se taire.

Bref, pourquoi souiller ce monde merveilleux, celui de l’innocence et de la douceur, qui sont des besoins vitaux, quoi qu’on en dise par ailleurs ? Dira-t-on, un jour, aux enfants, pour les rassurer lorsqu’une angoisse invisible les saisira, qu’ils ne vivent pas dans le monde de Jean-Cyril Spinetta, Marcel Dassault et Franck Riboud ?

Cyrille Cléran


L’ivre de papier 

Les livres contiennent le savoir. Une partie du moins du savoir. Écrits par les hommes, ils parlent des hommes, de leurs pratiques, de leurs rêves, de leurs peurs. Voudrais-tu connaître les hommes ? Fréquente-les. Ou lis. Rares sont les artefacts qui possèdent cette magie. Les livres sont nos avatars les plus fidèles (du moins le sont-ils depuis plusieurs siècles, car à certains signes, on peut penser que les blogs sont en train de prendre la relève et que les éditions papier bientôt appartiendront au passé, les éditeurs traditionnels relégués dans la catégorie « métiers d’antan », en compagnie des meuniers, forgerons, étameurs et autres spadassins). 
Chaque livre renforce tous les autres. Chaque livre se nourrit de tous les autres (ça marche aussi avec les blogs). Là encore, le parallèle avec les hommes fonctionne : les hommes aussi se nourrissent (au sens spirituel s’entend, on n’est pas des cannibales) de tous les hommes qui les auront précédés ou qu’ils croiseront sur leur bonhomme de chemin. 
L’homme comme le livre sont des êtres sociaux : un homme seul ou un livre seul sont des contresens.
Car si l’homme a besoin de tous les autres pour exister, le livre est dans la même situation. En témoigne la pugnacité de l’auteur qui doit assimiler des dizaines de milliers de pages avant d’oser espérer, à son tour, pondre quelques paragraphes dignes de ce nom. En témoigne l’abnégation de l’éditeur qui doit se taper des dizaines de manuscrits pourris, les trier, les amender, mais aussi se frotter aux productions incessantes de ses confrères prestigieux afin de goûter à l’excellence de livres publiés consciencieusement. En témoigne la persévérance de l’imprimeur qui, pour un livre valable édité, devra, pour gagner sa croûte ou remplir le réservoir de son Kangoo, imprimer des quantités invraisemblables de prospectus et de mémoires de maîtrise en neuf exemplaires que personne ne lira jamais si ce n’est quelques étudiants un peu masos et autres profs bienveillants. En témoigne la vaillance des libraires, qui accumulent des stocks merveilleux dans lesquels on viendra piocher dans l’allégresse et qui, jamais, ne proposent qu’un seul livre. En témoigne le dévouement des bibliothécaires qui vérifient la validité des cartes de lecteurs, lesquels, empressés de dévorer leur bd ou se vautrer devant leur dvd, regarderont à peine la personne employée à autoriser la sortie et homologuer les retours de tous ces petits trésors. 
Combien de livres lus, au final, pour un livre édité ? 
Une parution est le fruit d’un lent travail d’agrégation, de mise en commun des moyens et des techniques, d’écrémage, d’affinage, de bonification, de macération, de chaptalisation. Pour poursuivre dans la métaphore viticole, on pourra à toutes fins utiles réfléchir à ce problème, qui n’en est pas vraiment un : pour une bouteille produite par un vigneron de Lamure-sur-Azergues, combien de bouteilles devront être bues par celui-ci ? 

Cyrille Cléran

mercredi 8 février 2012

Humeurs vives et bile de clown

Parfois, je ne réponds pas à un mail. Ou je ne décroche pas le téléphone. Voire je n’ouvre pas la lourde. Parce que, quand on est jeune parent, on a (ça peut arriver), certains jours, à peine le temps d’aller chier. Alors on fait au plus pressé. On s’organise ou on essaie de. On se démultiplie. On agite nos paires de bras. On court dans tous les sens, on répond à la demande, on vaque d’une occupation à l’autre, on fait plusieurs choses en même temps, on s’efforce de ne pas perdre une seconde, on cherche et on trouve un énième souffle.

Et ceci est d’autant plus vrai quand on est jeune parent d’une enfant différente (néanmoins géniale) et d’une enfant normale (bizarrement géniale, elle aussi). Alors ainsi va la vie, dense, étouffante, usante, impitoyable et magnifique.

Dans ce tumulte, cette tension, on se découvre (tantôt nul, tantôt parfaitement à la hauteur) et on découvre le monde. On erre à la recherche d’un gué, pour traverser le torrent de lave ou d’eau glaciale (c’est selon). J’aime la métaphore du périple hasardeux, riche d’imprévus, qui implique de ne pas poser le pied n’importe où, qui confère à la vie domestique une dimension aventureuse. On arpente l’espace, le cou tendu vers l’avant, on franchit des dunes, on s’extraie de forêts broussailleuses, hostiles et urticantes, quand surgit l’oasis, généralement salvatrice.  Et s’offre alors la plage de repos. Ou s’ouvre le banquet. Quelquefois, trop méfiant, trop pressé, trop lucide, on ne s’arrête pas (peur d’être berné ? mauvaise conjoncture astrale ? erreur de jugement ? manque de spontanéité ?). On espère que, plus loin, une autre halte, mille fois mieux, nous attendra. Snober ce qui, l’avant-veille encore, aurait semblé plus que prometteur, est le privilège des gens désespérés, mais polis.

C. Cléran



samedi 14 janvier 2012

Pour en finir avec le soi-disant narcissisme des artistes


La création est un sacerdoce. Je le sais. Ne me demandez pas d’argumenter. Admettez-le. La création est une discipline, où il n’y a pas tant que ça de place pour l’improvisation, le j’m’en’foutisme, le superflu, l’amateurisme, la spontanéité ou le nombrilisme. C’est comme en sport, à haut niveau : on se frotte à l’adversaire, au chronomètre, on compétitionne, on accroît ses performances, on sue beaucoup, on essuie les critiques, mais on ne passe pas son temps devant son miroir à se pourlécher les babines, l’œil repu et le cervelet comblé.
L’artiste est forcément dans la recherche d’éléments pour poursuivre son œuvre, éléments que seules la réflexion, l’observation, la conversation, la concentration, la divagation, la spéculation, la méditation, sans parler de l’action bien entendu (qui est la forme visible d’une méditation en mouvement), ou plus généralement, la contemplation, autorisent, enrichissent, fertilisent, aiguisent ou personnifient.
La contemplation, parlons-en. Aristote en faisait un art vaguement suprême. Aristote ? C’est un ancien philosophe, Grec, qui est aux BHL, Comte-Sponville et consorts d’aujourd’hui, ce que Michel Platini et Abedi Pelé sont à Tony Vairelles et ses frères. Sans la contemplation, du monde et des idées, point de salut.
Pour aller plus loin, avancer dans son ministère, l’artiste va fouiller le tréfonds de son âme, qu’il exposera, ou non, au regard ébahi de ses contemporains. C’est un passage obligé. Ce n’est pas une perversion. Ce n’est pas une perte de temps. Ce n’est pas du dédain vis-à-vis de qui ou quoi que ce soit. C’est une nécessité vitale.


Cyrille Cléran


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