Non. Ce n’est pas par lâcheté que les policiers s’amusent à traquer les petits trafiquants et les vendeurs de Camel de contrebande.
Non. Ce n’est pas par stupidité que les policiers et
autres gendarmes mobiles matraquent des lycéens d’extrême-gauche ou aspergent
de gaz des syndicalistes descendus dans la rue pour exprimer, comme la loi les
y autorise, leur mécontentement grandissant.
Non. Ce n’est pas par veulerie
que la police et ses brigades anti-crimes s’en prennent de préférence aux Noirs
ou aux individus typés.
Non. Ce n’est pas par cruauté
déplacée que les policiers s’acharnent sur les sans-papiers dépenaillés, sur
les prostituées au sexe incertain, sur les drogués des bas-quartiers ou sur les
caïds de 13 ans et demi qui roulent sur des scooters au pot percé.
Non. Ce n’est pas par coquetterie que la police choisit de taper
sur les faibles, les démunis, les errants, les Roms sédentarisés, les précaires
ou sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un étranger.
Non. Ce n’est pour aucune de ces
raisons. Les vraies raisons sont à chercher ailleurs. Les vraies raisons sont à
chercher dans notre passé colonial quand jadis furent justifiées les pires
exactions, entérinées par des lois dictées par les monarques de droit divin et
par le Code Noir (voir ci-dessous). Les vraies raisons sont à chercher dans notre paysage
politique, là où ceux qui sont aux manettes sont rarement des manants. Les
vraies raisons sont à chercher dans nos croyances qui parviennent à convaincre
les plus dociles d’entre nous – croyances dans lesquelles on baigne et qui
postulent qu’il est plus grave de voler un œuf, première étape avant un bœuf,
que de polluer une rivière avec des pesticides, un littoral avec des
hydro-carbures ou un sous-sol avec des déchets issus de l’industrie nucléaire
civile et militaire. Les vraies raison sont que les maîtres des chiens de
chasse désignent comme cible pour leur meute le sanglier et le renard sauvages.
Les vraies raisons sont que les donneurs d’ordres dictent ce qui les arrange.
Les vraies raisons sont qu’on fut d’accord jadis pour que le seigneur pût
bastonner ses serfs et ses sujets en toute légalité, sans encourir la moindre
peine de la même manière qu’aujourd’hui on est d’accord pour que les coups
puissent pleuvoir sur la plèbe sans que de leur côté les ploutocrates ne soient
inquiétés. Les vraies raisons sont que la police suit les ordres qui sont
donnés et ceux qui les donnent, avec un cynisme plus ou moins sophistiqué, ne
sont pas assez bêtes pour donner des ordres dont ils pourraient eux-mêmes
pâtir. Les vraies raisons sont que règnent des lois mal branlées. Lois que
certains voudraient faire accroire qu’elles sont naturelles alors qu’elles sont
le fruit de calculs humains destinés à préserver des prés carrés de privilèges.
Ces privilèges aujourd’hui sont contestés. Plus ou moins timidement, les
ouvriers, les opprimés, les exploités entrent dans la danse. Tous sont
bien conscients qu’il y a quelque chose qui cloche, mais les habitudes aidant,
tous ou presque avaient fini par y croire à ces idées de lois
« naturelles » qui font que ça semble normal que certains puissent
opprimer, gazer, menotter, exploiter, mépriser, humilier et rabaisser les
autres. Ce serait pour le bien de tous, disent ce qui édictent les lois.
Or ce « tous », auxquels certains se disaient forts de
garantir la vie la plus adéquate qui soit, commencent à comprendre qu’ils
risquent d’être exclus de ce bien commun, c’est-à-dire pour tous, qui
finalement n’arrange que quelques-uns.
Cyrille Cléran