Salah Abdeslam
est en prison à Fleury-Mérogis depuis hier (58 mars / 27 avril 2016). Vingt
gardiens vont le surveiller nuit et jour, notamment via des caméras installées
dans sa cellule. Ces précautions exceptionnelles sont prises pour maintenir en
vie, jusqu’à son procès, ce co-auteur présumé des attentats, en novembre
dernier, à Paris et Saint-Denis. On sait la justice lente. On sait qu’il va
devoir attendre des années avant que son jugement soit prononcé. On devine également
que ces conditions de détention vont le rendre fou et le conduire
vraisemblablement à une grève de la faim – qui sera filmée. Le Loft à Fleury.
Peut-être que TF1 ou beIN SPORTS achèteront les droits pour diffuser les
meilleurs morceaux de cette captivité ultra-sécurisée.
S’agit-il d’un prisonnier de
guerre ? D’un criminel de guerre ? D’un prisonnier politique ?
D’une petite frappe aux fréquentations douteuses qui a mal tourné ? D’un
psychopathe irresponsable ? D’un jeune adulte immature inconscient de la
gravité de ses actes ? D’un fou de Dieu plus fou que mystique ?
A-t-on besoin d’une réponse à ces questions ? Et existe-t-il de toute
façon une réponse à ces questions qui soit satisfaisante au regard de la peine
et des dégâts irréparables causés par ces actes terroristes entrepris par Salah Abdeslam, désormais mis à l’ombre et
à l’isolement ?
*
Si cet homme s’est montré
dangereux, faire l’économie d’une large réflexion sur ce qui conduit les hommes
à la violence est impensable. Il ne s’agit pas seulement de châtier. Il y a
nécessité de prévenir. Pour éviter que ça ne se reproduise. Or s’interroger sur
les origines de la violence, c’est marcher sur les bords d’un abyme. Qu’est-ce
qui conduit un gus à s’exploser la citrouille ou à commettre d’ignobles
carnages ? Qu’est-ce qui peut bien passer par la tête d’un être humain –
et s’y déployer comme le mycélium d’un champignon – pour que celui-là en arrive
à de tels gestes extrêmes ?
Il y a eu des précédents dans
l’histoire du terrorisme. Notamment avec la bande à Baader. Est-il
nécessaire de rappeler que les membres de ce groupuscule farouchement politisé
et radicalisé, constitué à ses débuts d’étudiants en beaux-arts en butte contre
le capitalisme et contre les relents persistants du nazisme allemand, ont connu
des fins tragiques ? Andreas Baader (1943 - 1977), Gudrun
Ensslin (1940 - 1977), Jan-Carl Raspe (1944 - 1977) ont été
retrouvés morts le même jour, le 18 octobre 1977, dans leurs cellules
respectives individuelles, à la prison de Stuttgart-Stammhein. Et il ne
s’agissait pas de morts naturelles. Une théorie prétend qu’ils se sont
suicidés. Une autre que ce sont des exécutions maquillées. Un doute plane. Le
même genre de doute planera vraisemblablement le jour où l’on retrouvera le
corps froid de Salah Abdeslam.
*
Face à leurs opposants les plus
virulents, les États n’ont jamais eu de scrupules. L’État, de par son
fonctionnement hiérarchique et son système répressif, conduit à la radicalisation
inévitable de ses détracteurs les plus vifs. Cette radicalisation les amène à
mener des actions violentes contre l’État, puis l’État a beau jeu de réprimer
impitoyablement cette radicalisation. La boucle est bouclée – et les opposants
aussi. Les autres courbent l’échine, admettent que l’État est le plus fort et
qu’il ne fait pas bon lutter contre. En un sens, ces derniers n’ont pas tort.
Leur résignation fait cependant peine à voir.
Abdiquer une bonne part de sa
liberté est en effet toujours une espèce d’échec pour l’humanité tout entière
qui perd là des ressources inouïes.
Mais qu’attendre toutefois
d’États qui, au cours de leur histoire entachée de sang et d’injustices
criantes, ont été capables de construire des bombes H, d’envoyer des
contingents entiers en Algérie pour réprimer les velléités d’indépendance, et
qui encore aujourd’hui, laissent crever dans la Méditerranée les réfugiés par
paquets de mille, contraignent à la précarité des millions de pauvres larrons,
entreprennent de vastes chantiers inutiles et laissent prospérer à tout bout de
champ des idées fétides largement xénophobes ?
Ces gouvernements, qui semblent
parfois si éloignés des idées de fraternité, d’égalité et de liberté pourtant
inscrites sur les frontons de bien des écoles laïques, gratuites et
obligatoires, mais que protègent indéfectiblement les compagnies républicaines
de sécurité, sont-ils dignes de confiance ?
N’est-il pas légitime de vouloir les recadrer, les reconnecter avec des
idées neuves, portées notamment par les mouvements citoyens et militants
actuellement réprimés dans le sang des orbites oculaires explosées par les
balles en caoutchouc des LBD – techniquement nommés « lanceurs de
projectiles à létalité atténuée » (c’est-à-dire susceptibles de
provoquer la mort, mais de manière moindre, négligeable) ? On le voit, les
mots ont leur importance. Et quand un gouvernement quel qu’il soit s’entête à
ne pas entendre ceux qui sont scandés avec force dans les rues (ou sur les
ondes de Radio Croco, 100.3 FM à Rennes), il devient urgent de s’interroger sur
le pacte social qui nous unit.
Cyrille Cléran
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