mercredi 11 mai 2016

Chronique d’une agonie commencée





Salah Abdeslam est en prison à Fleury-Mérogis depuis hier (58 mars / 27 avril 2016). Vingt gardiens vont le surveiller nuit et jour, notamment via des caméras installées dans sa cellule. Ces précautions exceptionnelles sont prises pour maintenir en vie, jusqu’à son procès, ce co-auteur présumé des attentats, en novembre dernier, à Paris et Saint-Denis. On sait la justice lente. On sait qu’il va devoir attendre des années avant que son jugement soit prononcé. On devine également que ces conditions de détention vont le rendre fou et le conduire vraisemblablement à une grève de la faim – qui sera filmée. Le Loft à Fleury. Peut-être que TF1 ou beIN SPORTS achèteront les droits pour diffuser les meilleurs morceaux de cette captivité ultra-sécurisée.
S’agit-il d’un prisonnier de guerre ? D’un criminel de guerre ? D’un prisonnier politique ? D’une petite frappe aux fréquentations douteuses qui a mal tourné ? D’un psychopathe irresponsable ? D’un jeune adulte immature inconscient de la gravité de ses actes ? D’un fou de Dieu plus fou que mystique ? A-t-on besoin d’une réponse à ces questions ? Et existe-t-il de toute façon une réponse à ces questions qui soit satisfaisante au regard de la peine et des dégâts irréparables causés par ces actes terroristes entrepris par Salah Abdeslam, désormais mis à l’ombre et à l’isolement ?

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Si cet homme s’est montré dangereux, faire l’économie d’une large réflexion sur ce qui conduit les hommes à la violence est impensable. Il ne s’agit pas seulement de châtier. Il y a nécessité de prévenir. Pour éviter que ça ne se reproduise. Or s’interroger sur les origines de la violence, c’est marcher sur les bords d’un abyme. Qu’est-ce qui conduit un gus à s’exploser la citrouille ou à commettre d’ignobles carnages ? Qu’est-ce qui peut bien passer par la tête d’un être humain – et s’y déployer comme le mycélium d’un champignon – pour que celui-là en arrive à de tels gestes extrêmes ?
Il y a eu des précédents dans l’histoire du terrorisme. Notamment avec la bande à Baader. Est-il nécessaire de rappeler que les membres de ce groupuscule farouchement politisé et radicalisé, constitué à ses débuts d’étudiants en beaux-arts en butte contre le capitalisme et contre les relents persistants du nazisme allemand, ont connu des fins tragiques ? Andreas Baader (1943 - 1977), Gudrun Ensslin (1940 - 1977), Jan-Carl Raspe (1944 - 1977) ont été retrouvés morts le même jour, le 18 octobre 1977, dans leurs cellules respectives individuelles, à la prison de Stuttgart-Stammhein. Et il ne s’agissait pas de morts naturelles. Une théorie prétend qu’ils se sont suicidés. Une autre que ce sont des exécutions maquillées. Un doute plane. Le même genre de doute planera vraisemblablement le jour où l’on retrouvera le corps froid de Salah Abdeslam.


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Face à leurs opposants les plus virulents, les États n’ont jamais eu de scrupules. L’État, de par son fonctionnement hiérarchique et son système répressif, conduit à la radicalisation inévitable de ses détracteurs les plus vifs. Cette radicalisation les amène à mener des actions violentes contre l’État, puis l’État a beau jeu de réprimer impitoyablement cette radicalisation. La boucle est bouclée – et les opposants aussi. Les autres courbent l’échine, admettent que l’État est le plus fort et qu’il ne fait pas bon lutter contre. En un sens, ces derniers n’ont pas tort. Leur résignation fait cependant peine à voir.

Abdiquer une bonne part de sa liberté est en effet toujours une espèce d’échec pour l’humanité tout entière qui perd là des ressources inouïes.

Mais qu’attendre toutefois d’États qui, au cours de leur histoire entachée de sang et d’injustices criantes, ont été capables de construire des bombes H, d’envoyer des contingents entiers en Algérie pour réprimer les velléités d’indépendance, et qui encore aujourd’hui, laissent crever dans la Méditerranée les réfugiés par paquets de mille, contraignent à la précarité des millions de pauvres larrons, entreprennent de vastes chantiers inutiles et laissent prospérer à tout bout de champ des idées fétides largement xénophobes ?
Arme anti-émeutier inoffensive... tant qu'elle n'est pas chargée.

Ces gouvernements, qui semblent parfois si éloignés des idées de fraternité, d’égalité et de liberté pourtant inscrites sur les frontons de bien des écoles laïques, gratuites et obligatoires, mais que protègent indéfectiblement les compagnies républicaines de sécurité, sont-ils dignes de confiance ?
N’est-il pas légitime de vouloir les recadrer, les reconnecter avec des idées neuves, portées notamment par les mouvements citoyens et militants actuellement réprimés dans le sang des orbites oculaires explosées par les balles en caoutchouc des LBD – techniquement nommés « lanceurs de projectiles à létalité atténuée » (c’est-à-dire susceptibles de provoquer la mort, mais de manière moindre, négligeable) ? On le voit, les mots ont leur importance. Et quand un gouvernement quel qu’il soit s’entête à ne pas entendre ceux qui sont scandés avec force dans les rues (ou sur les ondes de Radio Croco, 100.3 FM à Rennes), il devient urgent de s’interroger sur le pacte social qui nous unit.
 
Cyrille Cléran

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