mardi 17 mai 2016

Les casseurs, ces loosers au grand cœur...


Dans un match de foot, les 2 équipes respectent les mêmes règles. C’est ce qui rend le jeu possible entre les joueurs, et compréhensible pour les spectateurs, voire agréable à regarder. Dans un livre, un conte, une chanson ou un film, c’est pareil ; un contrat est passé entre le lecteur et l’auteur, entre le cinéphile et l’acteur, etc. On sait que ce sont des espèces d’histoires, fictives, immatérielles, dans lesquelles il s’agit juste d’embarquer avec confiance pour en retirer de la satisfaction. Au restaurant, le client est lui aussi assuré que le restaurateur saura lui garantir la satiété – sans coup férir. Dans toute société (ou toute nation plus largement), c’est le même topo : les membres sont tous d’accord pour respecter les mêmes lois, élaborées ensemble pour le bien commun et pour la durabilité de ladite société car l’union et la solidarité font la force. Et cette force permet d’être serein, se la couler douce, d’être heureux en gros.

En revanche, si dans les matchs de foot, des joueurs sont connus pour ne plus respecter les règles, ils sont sanctionnés, exclus du jeu, voire définitivement bannis des stades. Et si ces joueurs dangereux n’étaient ni punis ni exclus et étaient encore malgré leurs méfaits tolérés sur les terrains, les autres joueurs qui, eux, respectent les règles, auraient bien tort de continuer à jouer dans ces conditions. De même, si on savait que la chanson qu’on va entendre nous pénalisera toute notre vie, ou que le livre dans lequel on est absorbé contient une insidieuse malédiction incurable, il faudrait être fou, le sachant, pour ne pas illico briser son cédé en deux ou ne pas brûler le livre maléfique. Si, dans un restaurant, les règles d’une saine alimentation ne sont pas respectées et nous approvisionnent donc au mieux d’une bonne dysenterie, au pire d’une salmonellose ou un ténia, on comprendra aisément que seuls les simples d’esprits animés de velléités morbides s’y attablent. Enfin, dans une société comme la nôtre, basée sur le droit et le consensus, si certains s’entêtent à ne plus suivre les règles, que c’est su depuis longtemps, que ça pénalise l’ensemble de ceux qui ne trichent pas ou prou, et que, malgré tout, rien n’est entrepris pour y remédier, alors il est normal que ceux qui s’estiment lésés aient envie de désavouer le contrat social qui jusqu’à présent les liait aux autres membres de la société.

C’est clairement ce qui se produit en ce doux printemps. Les esprits s’échauffent autour de la place Sainte-Anne. Certains, rêvant de goudron et de plumes pour enduire les tricheurs les plus notoires, se réfrènent néanmoins et se contentent, en guise de première sommation, de taguer quelques murs, de brûler quelques poubelles, de fracasser quelques vitrines.

Ces « casseurs » pour l’instant ne font pas l’unanimité. Leur message a encore parfois du mal à passer, notamment à cause de grands médias nationaux qui n’ont pas saisi la profondeur du problème. Or sans vouloir sombrer dans l’idolâtrie crasse, force est de reconnaître que ceux-là (les casseurs, pas les grands médias nationaux) ne déméritent pas. Après avoir longuement analysé le problème (qui est vaste) tel Socrate qui n’hésitait pas à stationner de longues heures au même carrefour tant qu’il n’avait pas démêlé le nœud intellectuel emberlificoté qui lui causait tracas, après avoir proposé des solutions (qui ne sont pas entendues), ils désignent maintenant les causes du problème.



« Amis banquiers, ouvrez donc des épiceries de nuit, plutôt que de rester dans les ténèbres et l’opacité des flux d’argents illicites. »


Évidemment, il faut apprendre à décrypter les messages politiques contenus dans les tags, parfois sibyllins au premier coup d’œil mais toujours éclairants au bout du compte si on s’en donne la peine. Ci-dessous par exemple, en rouge sang sur les volets roulants baissés du siège du prestigieux journal Ouest-France rue du Pré-Botté (où ils sont si fiers de leurs analyse de la situation qu’ils abaissent les volets métalliques dès la moindre rumeur de manifestation en ville), c’est assez clair :


« On savait que Cazeneuve était votre pigiste » et « T’écris de la merde »


Ces mots doux font suite, pour la petite histoire, à des articles (pas toujours signés) et des éditos du fougueux François-Régis Hutin parus dans ledit journal et largement sujets à caution. Ces tags ne sont pas du goût de tout le monde, cela va sans dire. Ils sont d’ailleurs si peu appréciés que sitôt commis, des CRS en grand nombre sont intervenus pour disperser l’attroupement de « casseurs » rue du Pré-Botté. Dans la foulée, quelques minutes plus tard, une fois leur intervention de nettoyage de la rue accomplie, comme ils sont malins, une petite partie de ces mêmes CRS s’est embusquée rue Vasselot, à une cinquantaine de mètres du lieu où les « dégradations » ont été commises…



« Douzaine de diablotins casqués prêts à jaillir, dans un renfoncement de la rue, entre le bar Le Saint-Charles et le cordonnier Le Bottier Rennais, au cas où, sans doute, les casseurs auraient décidé de venir compléter leurs carmines inscriptions…  (on notera également le petit tag, sur la gauche cette fois-ci, incitant à écouter Radio Croco 100.3 FM) » [NB : l'auteur de cette photo ne s'est pas plus approché du petit groupe de CRS planqués là derrière leurs boucliers car il sait ce qu'il en coûte de s'en approcher avec un appareil-photo dès lors qu'ils sont en intervention, surtout lorsqu'il s'agit d'une mission de cette importance, à savoir la protection rapprochée des volets, déjà profanés de Ouest-France (et ce, malgré l'état d'urgence qui, quoique virilement déployé sur tout le territoire et notamment l'hyper-centre de Rennes, n'est pas parvenu à prévenir ce genre de vandalisme vermillon)]  


Bref, il va sans dire que le dispositif militaro-policier installé sur Rennes n’est peut-être pas le meilleur indice d’une reprise rapide d’un dialogue réellement apaisé entre les différentes strates de la société. Dans le même temps, à Paris, boulevard Raspail, des cocktails molotov volent, œuvres de « casseurs » autrement énervés...


Cyrille Cléran

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Membres