Dans un match de foot, les 2 équipes respectent les mêmes
règles. C’est ce qui rend le jeu possible entre les joueurs, et compréhensible
pour les spectateurs, voire agréable à regarder. Dans un livre, un conte, une
chanson ou un film, c’est pareil ; un contrat est passé entre le lecteur
et l’auteur, entre le cinéphile et l’acteur, etc. On sait que ce sont des
espèces d’histoires, fictives, immatérielles, dans lesquelles il s’agit juste
d’embarquer avec confiance pour en retirer de la satisfaction. Au restaurant,
le client est lui aussi assuré que le restaurateur saura lui garantir la
satiété – sans coup férir. Dans toute société (ou toute nation plus largement),
c’est le même topo : les membres sont tous d’accord pour respecter les
mêmes lois, élaborées ensemble pour le bien commun et pour la durabilité de
ladite société car l’union et la solidarité font la force. Et cette force
permet d’être serein, se la couler douce, d’être heureux en gros.
En revanche, si dans les matchs
de foot, des joueurs sont connus pour ne plus respecter les règles, ils sont
sanctionnés, exclus du jeu, voire définitivement bannis des stades. Et si ces
joueurs dangereux n’étaient ni punis ni exclus et étaient encore malgré leurs
méfaits tolérés sur les terrains, les autres joueurs qui, eux, respectent les
règles, auraient bien tort de continuer à jouer dans ces conditions. De même,
si on savait que la chanson qu’on va entendre nous pénalisera toute notre vie,
ou que le livre dans lequel on est absorbé contient une insidieuse malédiction
incurable, il faudrait être fou, le sachant, pour ne pas illico briser son cédé
en deux ou ne pas brûler le livre maléfique. Si, dans un restaurant, les règles
d’une saine alimentation ne sont pas respectées et nous approvisionnent donc au
mieux d’une bonne dysenterie, au pire d’une salmonellose ou un ténia, on
comprendra aisément que seuls les simples d’esprits animés de velléités
morbides s’y attablent. Enfin, dans une société comme la nôtre, basée sur le
droit et le consensus, si certains s’entêtent à ne plus suivre les règles, que
c’est su depuis longtemps, que ça pénalise l’ensemble de ceux qui ne trichent
pas ou prou, et que, malgré tout, rien n’est entrepris pour y remédier, alors
il est normal que ceux qui s’estiment lésés aient envie de désavouer le contrat
social qui jusqu’à présent les liait aux autres membres de la société.
C’est clairement ce qui se
produit en ce doux printemps. Les esprits s’échauffent autour de la place
Sainte-Anne. Certains, rêvant de goudron et de plumes pour enduire les
tricheurs les plus notoires, se réfrènent néanmoins et se contentent, en guise
de première sommation, de taguer quelques murs, de brûler quelques poubelles,
de fracasser quelques vitrines.
Ces « casseurs » pour
l’instant ne font pas l’unanimité. Leur message a encore parfois du mal à passer,
notamment à cause de grands médias nationaux qui n’ont pas saisi la profondeur
du problème. Or sans vouloir sombrer dans l’idolâtrie crasse, force est de
reconnaître que ceux-là (les casseurs, pas les grands médias nationaux) ne
déméritent pas. Après avoir longuement analysé le problème (qui est vaste) tel
Socrate qui n’hésitait pas à stationner de longues heures au même carrefour
tant qu’il n’avait pas démêlé le nœud intellectuel emberlificoté qui lui
causait tracas, après avoir proposé des solutions (qui ne sont pas entendues),
ils désignent maintenant les causes du problème.
« Amis banquiers, ouvrez donc des épiceries de nuit,
plutôt que de rester dans les ténèbres et l’opacité des flux d’argents
illicites. »
Évidemment, il faut apprendre à
décrypter les messages politiques contenus dans les tags, parfois sibyllins au
premier coup d’œil mais toujours éclairants au bout du compte si on s’en donne
la peine. Ci-dessous par exemple, en rouge sang sur les volets roulants baissés
du siège du prestigieux journal Ouest-France rue du Pré-Botté (où ils
sont si fiers de leurs analyse de la situation qu’ils abaissent les volets
métalliques dès la moindre rumeur de manifestation en ville), c’est assez
clair :
« On savait
que Cazeneuve était votre pigiste » et « T’écris de la
merde »
Ces mots doux font suite, pour la
petite histoire, à des articles (pas toujours signés) et des éditos du fougueux
François-Régis Hutin parus dans ledit journal et largement sujets à caution.
Ces tags ne sont pas du goût de tout le monde, cela va sans dire. Ils sont
d’ailleurs si peu appréciés que sitôt commis, des CRS en grand nombre sont
intervenus pour disperser l’attroupement de « casseurs » rue du
Pré-Botté. Dans la foulée, quelques minutes plus tard, une fois leur
intervention de nettoyage de la rue accomplie, comme ils sont malins, une
petite partie de ces mêmes CRS s’est embusquée rue Vasselot, à une cinquantaine
de mètres du lieu où les « dégradations » ont été commises…
« Douzaine de diablotins casqués prêts à jaillir,
dans un renfoncement de la rue, entre le bar Le
Saint-Charles et le cordonnier Le
Bottier Rennais, au cas où, sans doute, les casseurs auraient décidé de
venir compléter leurs carmines inscriptions… (on notera également le petit tag, sur la gauche cette fois-ci, incitant à écouter Radio Croco 100.3 FM) » [NB : l'auteur de cette photo ne s'est pas plus approché du petit groupe de CRS planqués là derrière leurs boucliers car il sait ce qu'il en coûte de s'en approcher avec un appareil-photo dès lors qu'ils sont en intervention, surtout lorsqu'il s'agit d'une mission de cette importance, à savoir la protection rapprochée des volets, déjà profanés de Ouest-France (et ce, malgré l'état d'urgence qui, quoique virilement déployé sur tout le territoire et notamment l'hyper-centre de Rennes, n'est pas parvenu à prévenir ce genre de vandalisme vermillon)]
Bref, il va sans dire que le
dispositif militaro-policier installé sur Rennes n’est peut-être pas le meilleur indice
d’une reprise rapide d’un dialogue réellement apaisé entre les différentes
strates de la société. Dans le même temps, à Paris, boulevard Raspail, des
cocktails molotov volent, œuvres de « casseurs » autrement énervés...
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