lundi 3 novembre 2014


Tandis que certains s’accrochent à leur portefeuille et à leurs prérogatives, d’autres s’agrippent aux arbres pour les sauver
Tandis qu’on applaudit lorsque le peuple burkinabé s’exprime pour châtier un dictateur, on envoie au Testet des militaires pour mater les embryons d’une rébellion
Tandis que l’on pointe du doigt les violences des manifestants qui jettent des cailloux et lancent des slogans, on hésite à livrer – ou pas – des porte-hélicoptères Mistral à Poutine (bien connu pour ses élans d’amour pacificateurs comme en Tchétchénie, en 1999, ou en Ukraine plus récemment, ou envers les communautés gays pour ne citer qu’elles)
Tandis qu’on se recueille sur la dépouille encore tiède du sergent-chef Thomas Dupuy mort au nord du Mali à 32 ans (dans une « lutte » contre le terrorisme, vaguement contre-productive à moyen et long termes, mais d’ores et déjà parfaitement lucrative pour les marchands d’armes sophistiquées et autres industriels du crime international qui ont tout intérêt à voir se multiplier les théâtres d’opérations militaires), on se demande ce qu’un jeune homme de 21 ans pouvait bien faire à deux heures du matin sur une aire déboisée du nord-ouest du Tarn quadrillée par une cohorte de gendarmes mobiles déployés là pour assurer la sûreté de l’État
Tandis que les manifestants non-violents rêvent d’un monde apaisé, fraternel et solidaire, les bons chrétiens regardent TF1
Tandis que les « ACAB » fleurissent sur les abribus, d’autres considèrent que la députée Marion Maréchal ferait vraiment une jolie Marianne
Tandis que la France terre d’asile traque et expulse les sans-papiers, on s’interroge pour savoir si l’hospitalité rime encore à quelque chose
Tandis que les prisons sont pleines d’innocents, les truands dînent au Fouquet’s
Tandis que les grands seigneurs tiennent table ouverte, les mauvais conseillers suggèrent qu’on élève des rideaux de barbelés autour des champs de blé
Tandis que les centres de rétention administrative ressemblent de plus en plus à des verrues d’un autre temps (d’avant l’abolition de l’esclavage et d’avant la Déclaration des droits de l’Homme), on s’inquiète de ces hordes de pauvres qui déferleraient si l’on ouvrait les vannes de la générosité – qu’on garde donc fermées – et on s’étonne que ça sente le moisi dans les esprits…

C. Cléran

vendredi 15 août 2014

Il était une fois un potager...



Il était une fois un potager extraordinaire. Je ne vous ferai pas l’offense de le décrire. On sait tous ce qu’est un potager. On y trouve des plants de tomates de plusieurs mètres de hauteur, épaulés par des tuteurs en fer forgé donnant chacun des brouettes entières de magnifiques récoltes d’un rouge gourmand. Des rangs de petits pois produisent des cosse garnies à souhait. Les haricots, verts, jaunes ou blancs, se portent eux aussi à merveille. Dans le sol, carottes, betteraves plantureuses, patates, poireaux croquants, panais, promettent des repas délicieux. Courgettes, citrouilles, cornichons à fleurs d’un jaune éclatant, ne sont pas en reste. Les aubergines d’un brun violet accrochées à leurs tiges garnies de piquants dorent au soleil. Plantes médicinales, herbes parfumées venues de Chine, bosquets de lavande, glaïeuls somptueux, marguerites tranquilles, pissenlits rebelles, fraisiers au ras du sol, taillis de framboisiers, ciboulettes et renoncules, salades alignées, choux, rhubarbes aux feuilles gigantesques riches en fibres suaves, persils aux verts sombres et autres poivrons prévus pour des ratatouilles délicates cohabitent royalement. Les bestioles pullulent. La zone est richement peuplée. Lapins, mulots, vers de terre, chenilles grasses, criquets à fines antennes, coccinelles à sept points, nuées de moucherons irritantes, scarabées placides, lézards, araignées aux toiles tissées avec une méticulosité d’architecte, escargots gris, taupes velues, chevreuils, moustiques, orvets, chats fainéants, hérissons tapis sous les brindilles et les paillages épais, tout un petit monde circule, se régale, se camoufle, se régule au gré des saisons. Les étoiles et les oiseaux de toutes les couleurs survolent ce périmètre organisé.
À chaque fin de cycle, ces petits peuples disparates se réunissent en grand concile. Ils élisent alors l’espèce qui sera la plus à même de gouverner.
Les abeilles, connues pour leur activité pollinisatrice, et les fourmis, fameuses pour leur sens inégalé du collectif, sont en général tour à tour élues. Les jardiniers sont aux anges. Ils se tournent les pouces, qu’ils ont bien sûr verts, et bâillent aux corneilles, qui croassent dans les peupliers. Cette alternance entre abeilles et fourmis a une certaine efficacité, relative et discutable certes, mais l’abondance des récoltes et la douce ambiance qui flotte sur ce potager extraordinaire témoignent de la clairvoyance de ces choix. Pourtant, malgré tous les avantages de ce système, la gouvernance des abeilles et des fourmis fut contestée par une partie de plus en plus conséquente de la population rampante, sautillante, coassante et miaulante de ce potager mirifique et fertile. Alors qu’advint-il ? Je vous le donne en mille. Aux élections suivantes, ce furent les limaces qui arrivèrent en tête, récoltant 24,86 % des suffrages exprimés.
Il va sans dire que la prolifération de cette engeance gluante qui avait su promettre monts et merveilles fut redoutable et qu’on ne tarda pas à regretter la pondération des abeilles et l’organisation, discrète mais persévérante, des fourmis. Hélas, le mal était fait. Les cueillettes cette année-là furent maigrelettes. Les limaces repues mirent ça sur le dos des colombes, des bousiers et des bourdons venus des prés voisins. Le soleil était plus terne. Les pluies furent insuffisantes. Le chant des cigales avait quelque chose de triste. La gloutonnerie des limaces avait causé d’irréparables dégâts. La ceinture serrée, n’ayant plus que leurs yeux pour pleurer et leurs élytres pour chouiner, les bestioles ailées et carapacées de cet extraordinaire potager se consolèrent en se disant que ça aurait pu être pire. Jadis, croyant bien faire, les patates qui cherchaient un chef d’État n’avaient-elles pas été capables de placer, tout en haut de leur pyramide, les très coriaces et très envahissants doryphores ?

Cyrille Cléran

jeudi 29 mai 2014

Saletés de chômeurs et fumiers d'abstentionnistes

En cette période de crise, pas d'autre choix que de pondre une petite analyse de derrière les fagots. Il y a en effet des évidences qu'il est toujours utile de rappeler. Ainsi, les généralités sont parfois nuisibles. Parler des chômeurs, des arabes, des jeunes, des fascistes... ou des abstentionnistes... comme si ces groupes étaient homogènes, inaltérables et permanents est un non-sens, une aporie, au mieux une faute de goût, au pire une paresse de l'esprit. Moi même qui fus chômeur :) n'ai aucune envie d'être ainsi étiqueté. J'ai été jeune également (je ne le suis plus vraiment), comme toute personne vivant plus de 40 ans d'affilée, et sais sciemment que la jeunesse est quelque chose de fugitif, de volatile, d'éphémère, que les jeunes d'aujourd'hui, comme dirait La Palice, ne sont pas ceux d'hier (qui ont vieilli) et qu'au sein d'une même tranche d'âge, il y a d'incroyables disparités. Et quoique citoyen affûté, il m'est également arrivé de m'abstenir (à un premier tour d'élections) parce que j'avais la flemme d'établir une procuration à un proche de confiance (et parce qu'en plus, parmi mes proches, il y a pas mal d'abstentionnistes et je me voyais mal leur demander d'aller voter à ma place)... Par contre, je n'ai jamais été fasciste. Ou alors, dans des rêves, dans des jeux de rôles ou des projections inconscientes. Tout ceci pour préciser que le catalogage est rarement une explication. Et que les raccourcis sont souvent trompeurs (ou alors très pratiques, comme les proverbes). Les chômeurs, les jeunes, les abstentionnistes, les malades, les pertinents, les sages, les Bretons, les cons, etc., fluctuent donc. Ces catégories sont poreuses, polymorphes, et bien fol qui s'y fie. Bien crétin également celui qui jette l'anathème sur une de ces catégories, car il risque un jour de s'y retrouver - le sort étant souvent d'une ironie mordante et les premiers, comme le soulignent les Écritures, un jour ou l'autre fatalement se font derniers et vice-versa. D'où la prudence de ce billet, en ces temps troublés. Que le FN fasse néanmoins se déplacer tant d'électeurs reste néanmoins un mystère. Les gens sont en colère, l'expriment, et votent pour Murène La Peine et consorts ; leurs problèmes sont intacts ; la montée du FN en terme de suffrages exprimés n'a rien résolu ; s'ils en veulent à leur patron, ils vont retourner lundi matin au turbin en courbant l'échine ; s'ils en veulent à leurs concurrents, ils vont continuer à vouloir grignoter des parts de marché ; s'ils en veulent à leurs enfants d'être des fainéants, ils vont continuer à leur gueuler dessus ; s'ils en veulent à l’État qui surtaxe exagérément leurs petites entreprises, ils vont continuer de penser qu'avec plus d'employés et moins de charges, leur sort s'en trouverait comme par magie simplifié, apaisé, alors qu'ils ont déjà du mal à gérer leur douze employés, dont 3 précaires, 2 qui piquent dans la caisse, 5 qui ont menti sur leur CV et le reste qui serait prêt à partir avec le carnet d'adresses du patron pour monter à leur tour leur propre business prospère et sans accrocs malgré les impôts toujours plus lourds et les prêts toujours plus ardus à obtenir ; s'ils en veulent à leur femme, ils vont continuer d'aller aux putes, ou au café du commerce pour  oublier leur mauvaise alliance ; s'ils en veulent à leur maire, ils vont continuer de pester dans leurs coins en ourdissant des complots ; s'ils en veulent aux musulmans, ils vont continuer à aller en vacances en Turquie, à manger des dattes tunisiennes, à manger des melons marocains, à raffoler du couscous et à fumer du shit des Aurès ; s'ils en veulent à la terre entière, celle-ci va continuer à les porter, les nourrir et leur dispenser ses ineffables générosités...
Or la politique, s'il s'agit d'une chose éminemment sérieuse, ne doit jamais occulter ces autres dimensions de l'existence que sont par exemple l'esthétique, l'éthique ou la mystique. Quelle est l'esthétique promise par le FN : des flammes tricolores et des statues de Jeanne d'Arc à chaque carrefour (et des bals viennois avec le gratin européen néo-nazi pour les grandes occasions) ? Quelle est la mystique fondamentale défendue par Murène La Peine hormis considérer que son papa borgne et vociférant est un homme admirable parfois un peu excessif ? Quelle éthique si ce n'est celle de proférer menaces, promesses intenables, mensonges et contre-vérités à tout-va dans le but de gravir les échelons du pouvoir ?
Qu'un parti prétende tout régler est une supercherie. Qui plus est qu'un parti euro-sceptique s'invite à Bruxelles est à se tordre de rire. Des salopards ont fait croire à des imbéciles que le problème de l'Europe venait de l'étranger, d'au-delà des frontières*. Là est la pensée dominante (qui domine essentiellement les vastes plaines de la crédulité des uns et de l'irresponsabilité des autres). Alors il faut renforcer les frontières, se méfier de l'autre - ce métèque aux mœurs barbares -, ériger des murailles de barbelés et des centres de rétention où parquer les malheureux migrants. Il sera peut-être plus judicieux, dès qu'on aura cinq minutes, d'ériger l'hospitalité et la solidarité transnationale comme des vertus nécessaires.
Qu'un·e·tel·le assure mener 65 millions de Français vers mille ans de réjouissances immaculées et de pure plénitude absolue si l'on suit ses commandements est suspect. Que 65 millions de Français soient assez naïfs et déboussolés pour s'agglutiner derrière quelqu'un·e qui leur promet la lune (et ses satellites) est encore une fois à se rouler par terre tellement c'est drôle. Pour ma part, je ne confierais jamais mon sort à quelque parti que ce soit. Et sûrement pas, a fortiori, à un parti sans la moindre lettre de noblesse.


* Et ce, quelles que soient ces frontières, le but du jeu étant de se déclarer soi-même sain et sans problème et de prétendre que les problèmes viennent de l'extérieur, de l'autre, de l'étranger, des chômeurs, des juifs, des francs-maçons, des plombiers polonais, des politiciens des autres partis, de la jeunesse décadente, des vieux corrompus par Mai 68, des punks à chiens ou des imams égyptiens. Or, ce vote et cette vague frontiste auront démontré quelque chose : l'ennemi une fois encore vient de l'intérieur. La bête immonde n'est pas chez les voisins. Toujours prête à glapir et à proliférer, elle grouille au sein même de cette Europe qui a été voulue comme terre de paix et de concorde.

C.C.

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