jeudi 28 juillet 2011

Les Bretons et leur étiquette de "bouzeux" qui leur colle aux fesses...


Un jour, un con, à Paris — ou alors était-ce à Bruxelles, ou bien était-ce dans un avion faisant la navette entre ces capitales —, un con a dit : « Il faut produire du porc, beaucoup de porcs ! Plus qu’on ne peut en manger ! Le plus possible ! Que les Européens ne connaissent plus jamais la famine et qu’ils se fassent une côtelette et des rillettes à chaque repas ! Avec le surplus, on fera du stock, utilisable en cas de pénurie, ou on fera des bénéfices grâce à l’exportation vers ces pays pauvres qui ne sont pas assez évolués pour produire eux-mêmes leur nourriture. » Et il fut fait ainsi. Les Bretons en première ligne. Comme en 14. Car le Breton est docile, courageux, fidèle et, il faut bien le dire, un peu obtus. Alors, depuis qu’Anne de Bretagne par ses épousailles a rattaché le duché au vaste voisin hégémonique, la mère-patrie française, le Breton, un peu catholique et superstitieux sur les bords, se soumet sans trop réfléchir aux lois du pire et du meilleur. Il a d’abord abandonné sa celtitude et sa fière indépendance, pour les remplacer par un nouveau nationalisme de bon aloi, élargi. Puis il a laissé tomber sa langue, ses coutumes, ses mythes, ses costumes, ses chants, ses fêtes et ses croyances et maintenant, il roule en Citroën, en Honda, porte du Zara, écoute du Souchon, vote aux pestilentielles, pardon aux présidentielles, parle dans son Nokia, et mange et gaspille allègrement.
Bien sûr, tout ça a un coût. Coût humain, coût écologique, coût économique. On ne produit pas des millions de tonnes de porc impunément. Il a donc fallu sacrifier certaines choses — des bouts de nappe phréatique, des cours d’eau, des sources, des littoraux maritimes, un cadre de vie utopique, quelques illusions. De toute façon, les députés, à Paris comme à Bruxelles, ne passent pas leurs vacances dans la baie de Saint-Brieuc qui n’a jamais été, il faut bien le reconnaître, un spot touristique ni très glamour ni très en vogue — ils préfèrent le Nord de l’Italie, la Norvège, le Kenya, le Japon ou le Gers.
Les gros industriels du porc non plus, en fin de compte, ne passent pas leurs congés dans les Côtes d’Armor : ils préfèrent nettement les endroits où les plages sont accessibles sans risque d’enlisement dans des tas d’algues nauséabonds. Et à bien y réfléchir, les éleveurs de porcs, épuisés par les critiques dont ils font l’objet, consternés par les conséquences de leur stratégie d’optimisation des rendements, endettés jusqu’au cou à cause du coût des antibiotiques, des granulés, des frais divers, des prêts contractés lors de leur installation puis lors des successifs agrandissements de leur exploitation, n’ont pas vraiment le temps de songer aux vacances. Ils ont des cochons à élever puis à vendre. Et du lisier à écouler. De quoi remplir un nombre incalculable de piscines olympiques.
Bien sûr, tout ça présente aussi des avantages incroyables : on n’est plus obligé d’égorger le cochon élevé dans le fond du potager, si l’on veut un sandwich au jambon. C’est devenu un produit courant. La Bretagne est en pointe en matière d’agroalimentaire — ce qui fait une belle jambe à ces petits marcassins retrouvés embourbés, asphyxiés, à ce cheval mort ou à ce conducteur de camion chargé de ramasser les ulves pourries et qui n’en a pas supporté les émanations.
Naturellement, si tout ceci s’était passé en Corse, les habitants du bord de mer auraient réglé le problème à coup de fusil. Mais en Bretagne, on n’est pas belliqueux. Jusqu’au jour où ça pète.

Cyrille Cléran





1 commentaire:

  1. Très beau billet, Cyrille, je partage à tout bout de "champs", si tu me le permets.
    Et venant d'un costarmoricain, ça prend tout son sens.

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